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quelques milliers de la Belgique et des Provinces Rhénanes. D’autres furent apportés par des paysans, une prime de 12 francs étant allouée pour chaque fusil restitué; d’autres furent réquisitionnés chez des négocians et des armateurs auxquels il avait été enjoint, par voie d’affiches, de déclarer les armes de guerre qu’ils pourraient avoir.

Malgré l’activité déployée et tous les moyens mis en œuvre, les hommes arrivaient dans les dépôts plus vite que les armes n’entraient dans les magasins. Les manufactures et les ateliers pouvaient fournir par mois seulement 20 000 fusils neufs et à peu près le même nombre de fusils réparés[1]. Dans les premiers jours de juin, c’est à peine si l’on avait donné des fusils à la moitié des gardes nationales mobilisées. Quant aux sabres-briquets dont la fabrication avait été ajournée, car il fallait d’abord faire des baïonnettes, on décida que, même dans la ligne, seules les compagnies de grenadiers en seraient pourvues. Les cuirasses manquaient. « Faites rejoindre les hommes quand même, écrivit Napoléon : les cuirasses ne sont pas indispensables pour faire la guerre. » Partout on pressa la confection des cartouches de façon à porter l’approvisionnement à 100 par homme : 50 dans le sac et 50 dans les caissons des parcs. A Vincennes, il en fut fabriqué 12 millions en deux mois. Le 1er juin, l’approvisionnement de réserve de l’armée du Nord montait à 5 millions et demi de cartouches, et les soldats de tous les régimens placés en première ligne avaient, à quelques-unes près, leur cinquante cartouches au complet, bien qu’ils en eussent brûlé quarante chacun au tir à la cible.

Non seulement le gouvernement de la Restauration ne s’était pas occupé de reconstituer les magasins d’habillement vidés par les gigantesques et désastreuses campagnes de 1812 et de 1813, mais il n’avait même point pourvu à l’entretien des troupes sous les armes : de mai 1814 à février 1815, la Guerre n’avait affecté à l’habillement que 4 millions, dont un seul avait été payé. Les uniformes étaient des haillons. Dans plus de vingt régimens les hommes manquaient de souliers; dans les corps d’élite comme les chasseurs royaux, des cavaliers n’avaient ni bottes ni chemises. Au 14e léger, les hommes portaient depuis deux ans, hiver comme été, des pantalons de toile. Au 27e de ligne, il était dû 30 000 francs pour la première mise des prisonniers rapatriés antérieurement

  1. Les fusils hors de service étaient en si pitoyable état que l’Empereur avait hésité d’abord s’il les ferait réparer ou dépecer pour avoir des pièces de rechange. Napoléon à Drouot, 8 avril (Arch. de la Guerre, carton de la Corresp. de Napoléon).