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résumer les nombreux traités de géographie descriptive que les préoccupations actuelles ont fait apparaître ou reparaître aux vitrines des libraires. Grâce à ces publications que les contribuables curieux s’arrachent, la France orientale, comme on l’appelait déjà au temps de Colbert, est parfaitement connue à cette heure. J’entends par là que chacun, suivant sa complexion optimiste ou pessimiste, a pu faire un choix dans la riche gamme d’opinions, toutes autorisées, qui nous représentent Madagascar tantôt comme un Eldorado, tantôt comme une terre maudite, tantôt comme un pays suffisamment peuplé, tantôt comme une île en partie déserte. Ceux qui ont beaucoup lu demeurent à cet égard dans une grande incertitude ; elle les rapproche sensiblement de ceux qui n’ont rien lu. Nos moniteurs officiels nous disent, comme le laboureur du fabuliste à ses enfans :


Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l’endroit; mais un peu de courage
Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.


Je ne prétends, et pour cause, renseigner personne sur Madagascar. Mon dessein est tout autre. Une page nouvelle s’ouvre et va se remplir dans l’histoire de notre politique coloniale, histoire déjà si ornée. C’est le moment de jeter un coup d’œil rapide sur l’ensemble de cette politique, de nous demander si nous y avons appliqué les meilleures méthodes, et, au cas contraire, s’il ne faudrait pas inaugurer une nouvelle expérience avec d’autres procédés, avec des innovations qui seraient peut-être un retour à de très vieilles traditions. On me pardonnera de revenir ici sur des idées que j’ai déjà exposées ailleurs. Dans les pays où l’opinion est souveraine maîtresse, on n’a chance de l’entamer qu’en se répétant sans fausse honte : il y faut user plusieurs marteaux pour enfoncer un clou.


Après le néfaste et coupable traité qui termina la guerre de Sept ans, après l’abandon de nos possessions d’outre-mer, on put croire que la sève colonisatrice de l’ancienne France était à jamais tarie. A peine si elle a donné quelques signes de vie pendant une période de cent années. Il reste à notre fierté nationale la ressource de dire que cette sève avait changé d’emploi. Avec la Révolution, avec l’épopée napoléonienne, nous avons colonisé toute l’Europe; nous y avons fait des colonies d’idées. Nos efforts se sont concentrés ensuite pendant longtemps sur la difficile conquête de l’Algérie. C’était là une guerre pour le prolongement de la France, pour l’annexion de nouveaux départemens, plutôt qu’une entreprise coloniale proprement dite. Chacun sent que ces derniers