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renommée de ses mérites, offre en mariage sa propre fille, « fontaine de toutes les beautés. » Il passe la Manche, se rend à la cour, admire la fiancée, mais se laisse bien plus charmer par la bonne éducation d’une petite fille de neuf ans, la fille de messire Guillaume, son hôte. Le Savoyard, sans hésiter, renonce à la princesse, demande la main de la petite Gioietta, l’obtient, épouse l’enfant « sans dot » et l’emporte dans un panier d’osier attaché au des d’un cheval. L’histoire est invraisemblable, mais la moralité en est radieuse. Un chevalier normand avait deux filles : une belle, de tête folle, âgée de 15 ans; l’autre, de 13 ans, moins belle mais très sage. L’aînée, Margarita, ne pensait qu’au mariage et feignit, pour décider son père, d’être la maîtresse d’un écuyer. La voilà mariée, et mal mariée, avec le rustre. La sage, Joanna, déclara qu’elle resterait fille, et, en récompense de sa réserve, épousa, onze années plus tard, le frère du duc de Normandie. Celui-ci étant mort sans héritier direct, Joanna devint duchesse « et s’assit sur le trône ducal, tandis que la belle Margarita demeura à terre comme les autres. »

Tout ceci est à la fois édifiant et enfantin. Mais Francesco a dans son répertoire d’autres Nouvelles réellement atroces, qu’il conte avec une parfaite sérénité. Une dame jeune, ni belle ni laide, passait par la ville d’Orange. Quelques chevaliers la suivent par désœuvrement, avec des louanges sur ses grâces qui lui font perdre la tête. Elle se pare et ne quitte plus sa fenêtre, la rue ou les églises. Toute la jeunesse d’Orange la suit à son tour. Elle a toujours sur les talons un cortège d’admirateurs ironiques. Ni son père, ni son mari ne parviennent à la guérir de sa ridicule fantaisie. Un jour, les enfans d’Orange se mirent de la fête et «lui jetèrent tant de pierres qu’elle mourut. »

Ce conte, emprunté au troubadour Pierre Vidal, n’est encore qu’un accident tragique. Celui-ci, qui sort de la même source, n’est plus qu’un crime abominable. Un jour, le frère du duc de Bourgogne, revenant de France, vit sa belle-sœur accourir à lui ; il la pressa si tendrement sur son cœur que le duc, témoin de cette effusion, conçut aussitôt les plus graves soupçons. Le soir, il dit à sa femme: « Que signifient de pareilles manières? » Elle lui répondit : « C’est par amour pour vous que votre frère a agi ainsi, et moi, en le laissant faire, je ne crois pas avoir mal fait. — Au contraire, vous deviez lui adresser des reproches sévères. » La conversation en resta là, mais, quelques jours après, le duc invita son frère, le plaça à côté de sa femme et leur versa secrètement du poison à tous deux : trois jours après ils étaient morts.

Francesco est assurément un chrétien de vieille roche, très