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des données les plus essentielles, étaient pour le général en chef des tares mentales propres à retarder et à rompre sa décision ; elles le chargeaient par avance du poids de toute cette bataille à laquelle sa direction centrale a manqué.

Le 15e corps, commandé par le général Martin des Pallières, devait laisser une de ses divisions immobile dans les environs de Chilleurs-au-Bois et de Neuville, tandis que les deux autres tourneraient autour de celle-ci, en suivant la grande route d’Orléans à Paris par Artenay. Le 16e corps, sous les ordres du général Chanzy, formerait l’aile marchante de la conversion; il quitterait les positions conquises par lui la veille à Faverolles, à Villepion, à Terminiers, et se dirigerait au nord-est, ayant dans ses traces, et pour sa réserve, le 17e corps.

Or, aucun accident remarquable du terrain ne conditionnait le théâtre où ces troupes avaient à s’engager, ni ne permettait, en appuyant une défense, d’orienter une attaque. Sur toute l’étendue qu’on découvre depuis le moulin de Terminiers, c’est à peine si le niveau du topographe saisirait dans les altitudes une variation de dix mètres : les vagues ondulations dont se modèle de-ci et de-là ce sol indéterminé peuvent à peine abriter des troupes contre les vues, bien loin de leur offrir quelqu’une de ces crêtes saillantes qui sont aux forces armées comme les parois à l’eau des réservoirs, et du haut desquelles la masse humaine sent l’attrait de la pente et cède à l’accélération de la pesanteur. Cependant, pour fermer par deux traits cette région du tapis où tomberont tantôt les dés de la bataille, on peut marquer depuis la ferme Morale jusqu’à Loigny et à Ecuillon comme un seuil, puis, entre Tanon et Champdoux, comme un glacis : c’est là tout le champ clos débattu et perdu par les soldats de Chanzy, montré pour leur terme et demeuré interdit aux soldats de Sonis. Rien ne signale cet espace dans cette plaine aussi plate que la carte même ; mais, par un effet de contraste, les localités aperçues au loin et de tous côtés accaparent le regard ; l’esprit prête des proportions grandioses aux moindres constructions dont la valeur défensive grandit comme les apparences optiques. On voit à gauche, par-dessus les toits de Faverolles, le bourg d’Orgères; derrière lui, un rideau boisé clôt la perspective; les clochers de Loigny, de Lumeau, de Baigneaux, de Poupry, sont autour de l’horizon; dans leurs intervalles, Fougeu recouvrant la ferme Morâle, Villours, posé de guingois, Ecuillon tout seul, Goury perdu dans les arbres, émergent avec des formes déchirantes sur cette mer douce au regard. C’est à travers ces écueils tactiques que le 16e corps devait naviguer.

Ses trois divisions ne formaient que deux colonnes et ne suivaient que deux itinéraires. A droite, la division Maurandy allait