Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/625

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’asperger quelque peu avec l’eau de son bidon. Le Religieux je retourna, regarda, comprit; forçant à l’action ses membres lourds, il se mit lentement à genoux, puis debout.

— Merci, mon enfant, dit-il. Sans toi, je m’abandonnais. Allons... tu as trouvé la bonne manière de me réveiller. Ne dérangeons personne ; nous prierons pour ceux qui reposent.

Marchant avec rapidité, et bien maître maintenant de lui-même, le prêtre passait entre les tentes pliantes au vent et vaguement vibrantes, sous lesquelles on entendait des souffles, D’autres pas, devant et derrière, s’acheminaient aussi vers l’église, dont la porte entr’ouverte filtrait de la clarté et dressait verticalement dans la brume une cloison vaporeuse et blanche. Pourtant, la nef demeurait dans une pénombre devant l’autel éclairé; le curé attendait, une main posée sur la grille du chœur. Face à lui, plusieurs fidèles étaient agenouillés sur un même banc : chefs baissés que la lueur falote et froide des cierges caressait. Sonis, Charette, les Bouille, les Ferron, Troussures, Verthamon, commençaient là leur veillée d’armes.

« Sancta Bibiana, virgo... », récitait dans sa mémoire le Père, déjà vêtu de l’amict et du surplis. Il savait avec certitude que le 2 décembre était consacré à sainte Bibiane, mais il avait oublié la classe de cette fête et la couleur correspondante des ornemens. Avant d’ouvrir le tiroir aux chasubles, il consulta donc l’ordo, et vit que la messe de sainte Bibiane se trouvait cette fois remplacée par l’office spécial du Sacré-Cœur. Il fallait que celui-ci fût tombé en coïncidence de date avec quelque solennité majeure et qu’il eût été reporté jusque sur cette cérémonie secondaire des derniers jours de l’année. Mais sans s’arrêter à cette cause dont les événemens prochains allaient montrer la providentielle opportunité, le prêtre ne songea d’abord qu’à son ministère. On était en 1870, et la dévotion au Sacré-Cœur, privée jusqu’alors de l’approbation papale, ne ressortissait pas encore à un rite supérieur ; les textes qui lui sont propres manquaient peut-être dans le missel de cette petite paroisse ?

— Je vais chercher, dit le curé, à qui le Père posait cette question. L’appendice est très développé...

Il trouva, mit les signets en place, et regagna sa stalle tandis que le religieux, la tête couverte, les traits immobiles et les yeux baissés, entrait derrière le tromba.

Ils commencèrent leur dialogue sacré: le prêtre avec un accent lent et profond; le servant d’une voix haute, légère et libre. Colossandri se conformait attentivement à toutes les prescriptions du service dominicain, offrant d’abord les burettes pour que le prêtre remplît le calice, récitant le confiteor spécial de