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réglait toute nouvelle venait de l’arrière en cette armée découverte devant, décousue sur le front; et depuis lors, plus rien; pas un avis, pas un renseignement, pas un indice n’avait soulagé cette tête, sujette à tous les improvistes, attentive à tous les dangers.

— Est-ce donc là? songea-t-il joyeusement, et il sourit à ces salves de délivrance, il salua ce terme où il pensait déposer dans la mort le poids des incertitudes et des responsabilités. Puis, terminant par un accent de volonté son aveu d’impatience :

— Nous avons de quoi vous répondre... reprit-il, relevant le défi prussien; et il se retourna pour voir son artillerie, qui roulait à distance avec lenteur et régularité. Il aimait particulièrement cette arme, dont un long séjour en Algérie l’avait déshabitué; il admirait sa robuste apparence, la souplesse de ses manœuvres, surtout l’exactitude de ses constructions, à laquelle s’attachait pour lui l’idée d’une puissance mathématique, infaillible, quelque peu mystérieuse. « Ceux-là sont sûrs, » disait-il, comparant dans son esprit ces canonniers si tranquillement assis sur leurs coffres si bien fixés à leur matériel, avec ces instables forces d’infanterie, héroïques un jour, fuyantes le lendemain; les opposant à ces régimens de cavalerie qu’il avait failli commander, mais qui n’auraient pu le suivre sur leurs chevaux médiocres et fatigués. Et ramené par là à ses tristesses et à ses doutes :

— Qui sait? continuait-il, tandis que la canonnade se prolongeait au loin. Peut-être n’est-ce pas là?...

La veille, en sortant de Saint-Laurent-des-Bois, n’avait-il pas perçu ce même bruit, retentissant du côté de Tournoisis? Et n’avait il pas appuyé à gauche, gagné vers Ouzouer-le-Marché, jusqu’à ce que le silence rétabli et la nuit commencée n’eussent plus laissé d’autre parti possible que de négliger l’incident et de reprendre la direction première? Ce n’était pas là... Puis, remontant plus haut encore dans les souvenirs, il retournait aux rancœurs qui avaient marqué tous les grades de son rapide et récent avancement : Arrivant à Tours, lui, colonel de chasseurs d’Afrique, il recevait d’abord le commandement d’une brigade de cavalerie ; quant à la troupe elle-même, personne dans les bureaux ni dans la ville ne connaissait son emplacement. Venu à Vendôme pour la joindre, il la pourchassait encore que déjà il changeait de titre et prenait sous ses ordres toute la division de cavalerie du 17e corps. Dès lors, il cherchait sa division comme tout à l’heure sa brigade : à Châteaudun, où d’abord il avait la joie de rencontrer et de consulter le général Fiereck, une troisième nomination le portait plus haut et l’embarrassait davantage : il devenait le chef du 17e corps. Le tiers seulement de ses troupes se trouvait dans