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politesse auquel le religieux se méprit, car il crut entrer dans un entretien banal, pour y tenir un rôle indifférent.

— L’usage des fanions est très ancien, répondit-il; mais il a été pratiqué une fois d’une curieuse façon : c’est une histoire que je raconte à nos zouaves...

Pour divertir ses interlocuteurs, il rapporta une fois de plus cette anecdote : Le général Marcognet, montant à l’assaut du fort de Schweidnitz, avait fait planter une tête de chou sur la canne du tambour-major : « Si vous ne voyez plus la tête de chou, disait-il à ses hommes, vous saurez que Jean-Pierre Marcognet est mort. »

— Marcognet était un vieux brave, reprit le général en souriant. Mais nous parlions de cet oriflamme blanc qui vous a été remis par une personne de Tours, et nous voulions savoir de vous sa provenance exacte.

Changeant de voix et de figure, le Père commença son récit. Les religieuses de la Visitation, à Paray-le-Monial, avaient brodé cet étendard dès les premiers désastres de la guerre ; pendant que les unes y travaillaient, écrivant avec l’aiguille chaque lettre de l’invocation : « Cœur de Jésus, sauvez la France! » le reste de la communauté, réuni en adoration perpétuelle, répétait ce vœu par une prière unanime; elles appelaient ainsi la faveur du ciel sur ce signe et demandaient pour lui quelque attribution miraculeuse qui pût encore ramener la victoire.

Elles voulaient d’abord, les saintes filles, que leur bannière fût déployée sur les murs de Paris ; mais on leur avait représenté que cette guerre pouvait s’entendre comme le châtiment propre de Paris. Et d’ailleurs l’investissement était promptement venu interrompre toute communication avec la capitale. Interrogées alors, ces ouvrières de Dieu avaient répondu qu’elles destinaient le fruit de leur travail aux Volontaires de l’Ouest.

—... Aux Volontaires de l’Ouest, insista le moine en écartant les mains de sa poitrine et regardant de droite et de gauche l’effet produit par ses paroles. À ce moment-là, nous ne portions pas encore ce nom; nous attendions obscurément à Tarascon d’être agréés et réorganisés : si nous serions classés dans la ligne ou dans la mobile, ou si nous formerions un corps franc, c’est ce que personne en France ne savait. Mais les bonnes sœurs de Paray avaient reçu à notre sujet des lumières telles qu’elles purent adresser l’étendard à une personne de Tours, et que cette personne nous l’apporta, — sans que nous l’ayons nullement demandé! — au moment même où nous prenions les armes pour quitter la ville. La prédestination de l’objet, la désignation surnaturelle