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qu’elle n’a pu garder tant était incurable sa précoce dépravation. Qu’en a-t-on fait ? — Elle me répond en se détournant : « Je n’ai pas voulu le savoir, on l’a emporté à la maison des pauvres. » Ce que pourra être l’avenir de cette épave immonde, ce qu’elle rencontrera de protection et de pitié ici-bas, n’ayant pu réussir à intéresser même une Mrs Johnson, à l’âge qui est supposé être celui de l’innocence, on frémit d’y penser ! Cette brève et horrible histoire me poursuit comme un cauchemar.

Pendant l’été, on emmène les enfans à la promenade, mais l’hiver ils ne sortent jamais faute de vêtemens chauds ; leurs petites robes de cotonnade sont l’uniforme de la prison. Ils ont en ce moment leur triste mine d’hiver, prisonniers sans distractions, trop jeunes encore pour apprendre, et négligés par leurs mères qui les réclament rarement. Il semble qu’une mère européenne conserverait des entrailles même au dernier degré de l’abjection ; la chute ici, quand elle se produit, est apparemment plus complète. Mrs Johnson lutte contre tous ces mauvais instincts ; elle choisit avec soin ses assistantes, ne leur laisse qu’une autorité relative. Tout repose sur elle depuis les plus hautes questions jusqu’aux moindres détails. Nous sommes conduites dans les magasins remplis de chaussures, de mercerie, d’étoffes ; la directrice accueille en personne les demandes des prisonnières, les sert de ses mains. « Si l’une des femmes a besoin de souliers, nous dit-elle, je suis là pour les lui fournir, et nous causons. Je lui offre un verre de fait, je la mets en confiance. Il ne faut laisser échapper nulle occasion de rapprochement. » L’esprit évangélique est toujours le même : toucher les malades pour les guérir.

Aucun homme ne réside à Sherborn. Les matrones sont des personnes discrètes et bien élevées ; le médecin, que nous allons voir dans la pharmacie, est une femme intelligente qui me semble animée par un véritable esprit de dévouement ; le chapelain s’appelle miss Ettie Lee.

Cependant les portes continuent à s’ouvrir et à se refermer doucement sur notre passage, des portes qui n’ont rien de rébarbatif, mais qui sont de fer néanmoins. Nous avons achevé notre tournée. Mrs Johnson nous fait remarquer que partout est évité le système des cours étroites et closes, des hautes murailles, des précautions visibles contre une tentative d’évasion ou contre des communications avec le dehors. De toutes les fenêtres on découvre les champs, la basse-cour, mais aucun passant ne peut traverser les terres. Calme, solitude, silence, séparation du monde extérieur, saines influences de la nature, voilà les complices de Mrs Johnson. Quand elle a pris en main la direction du pénitencier