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il ne disparaîtra jamais complètement; ce n’est plus le patronage antique, large de sa bourse envers les cliens, mais d’une familiarité hautaine; ce sont des relations amicales, sympathiques, avec des gens moins instruits, moins fortunés, égaux en droits, un peu ombrageux. Les États-Unis d’Amérique en offrent de très beaux modèles, non seulement dans la vieille cité de Boston, mais dans la jeune et orgueilleuse Chicago. Mme Bentzon en a décrit des types divers et remarquables dans ses récits de la Revue des Deux Mondes cette année même[1]. La femme, par sa délicatesse d’esprit et de langage, par sa nature insinuante, souvent douce et ferme à la fois, est le meilleur metteur en œuvre de ces diverses catégories de patronages; les jeunes gens et les vieillards s’y associent, plus encore que les hommes mûrs, moins enclins à la douceur et plus absorbés par les soucis professionnels.

Il serait superflu de s’étendre sur toutes les branches de ce sympathique patronage moderne dans les sociétés industrielles et démocratiques.

Enfin viennent les grandes fondations d’intérêt général, auxquelles se complaisent quelques millionnaires, qui honorent et conservent leurs noms; c’est en Amérique, d’une part, puis chez quelques petits peuples, comme les Grecs, qu’on en trouve les plus beaux exemples : des musées, des écoles, des observatoires, des promenades publiques, des églises, des orphelinats, des hospices ; tout homme ayant une fortune de premier ordre devrait avoir à cœur de s’associer à une fondation de ce genre. Il y a une vulgarité de parvenu et une bassesse naturelle à y demeurer étranger. Il ne s’agit pas d’amoindrir notablement les héritages et de transformer graduellement, à la mort, les fortunes privées en fortunes collectives ; cette transformation aurait les plus fâcheux effets économiques, la richesse étant beaucoup mieux administrée, sauf de très rares exceptions, par les particuliers qui la possèdent que par des collectivités, quelles qu’elles soient. Mais les fortunes de premier ordre sont souvent assez abondantes pour faire quelque part, sans exagération, à ces fondations.

Bien d’autres œuvres peuvent tenter les millionnaires. Dans ces dernières années, en France, on les a vus accumuler les prix à l’Institut; c’est devenu un usage banal et, par son excès, peu profitable à la science ; la plupart des académies de l’Institut et des sociétés savantes connues ont une pléthore de prix qui les embarrasse et font récompenser souvent d’assez médiocres ouvrages. Il faut renouveler la direction des générosités privées et en changer le but; les voyages d’exploration, par exemple, en Afrique et en

  1. Voyez la Revue du 1er juillet et du 1er septembre.