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en général plutôt hostiles au luxe. Trois raisons principales les ont guidés à ce sujet dans l’antiquité et se retrouvent encore, plus ou moins, chez les gouvernemens modernes : 1° la croyance que le luxe amollit, 2° le postulat philosophique de l’égalité des hommes ou, du moins, des citoyens, 3° une sorte de jalousie publique qui veut garder pour l’État ou pour les villes les manifestations de l’extrême opulence. L’histoire fourmille d’interdictions du luxe, aussi draconiennes qu’inefficaces. Il s’est passé en cette matière un phénomène analogue à celui de la lutte des législations contre l’intérêt de l’argent. On voulait empêcher les gens de tirer avantage de leur richesse, soit en la dépensant soit en la prêtant.

En Grèce, c’est Lycurgue qui paraît avoir le premier systématisé la prohibition légale du luxe. D’après Plutarque, personne à Sparte ne devait posséder une maison ou des ustensiles et meubles qui n’eussent pu être faits avec une simple hache et une scie ; les seuls assaisonnemens permis pour la nourriture étaient le sel et le vinaigre. A Locres, Zaleucus défendait de porter un anneau d’or ou des vêtemens de Milet, un seul verre de vin bu sans ordonnance du médecin entraînait la peine de mort. A Athènes, Solon, émule adouci de Lycurgue, réglementait surtout les toilettes des femmes, le luxe des festins et celui des funérailles; des inspecteurs étaient institués à l’effet de constater les contraventions aux règlemens.

Dans la société romaine, un autre sentiment commence à se manifester, qui a inspiré toute la politique du moyen âge en pareille matière, et qui se retrouve encore chez les débris des classes féodales en Allemagne, dans les pays musulmans, etc., c’est le sentiment aristocratique qui veut garder la hiérarchie traditionnelle et faire observer, dans la vie extérieure, les distances entre les classes. C’est à quoi veillaient surtout les censeurs. Avant eux, la loi des Douze Tables contenait déjà quelques restrictions du luxe des funérailles. La célèbre Lex Oppia de cultu mulierum en 215 avant Jésus-Christ, la Lex Orchia en l’an 187, la Lex Fannia en l’an 143 et nombre d’autres, tour à tour l’objet de rappels, puis de remises en vigueur et de clauses nouvelles, ne purent ni prévenir le luxe de toilette chez les femmes, ni les funérailles somptueuses, ni les repas extravagans. C’est surtout le parti aristocratique, Caton, Sylla ensuite, qui se complaisaient à ces interdictions, lesquelles visaient principalement les chevaliers et les autres classes enrichies par le commerce. Les combats et jeux de cirque étaient aussi réglementés par Sylla, de même que les jeux de hasard.

Au moyen âge et au commencement des temps modernes, les lois somptuaires reparaissent et se propagent. Le sentiment religieux