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intérieur conjugal. Et qui pouvait répondre de ce qu’aurait ressenti l’impératrice elle-même en voyant ses avances repoussées, sa confiance méconnue, ses espérances trompées, ses intentions mises en suspicion à Versailles par un parti pris de froide et incrédule hostilité ? Après tout, malgré son génie, elle était femme, c’est-à-dire impétueuse et mobile, une blessure nouvelle faite à son orgueil pouvait lui faire oublier, au moins pour un jour, de plus profondes et de plus anciennes. Si la France se détournait d’elle avec dédain, elle pouvait, de dépit ou par découragement, dût-elle s’en repentir peut-être plus tard, se jeter dans les bras toujours ouverts que lui tendait l’Angleterre. Le sort de Kaunitz eût été alors celui qui attend tous les novateurs malheureux : son crédit n’aurait pu se maintenir contre la réaction des préjugés qu’il avait froissés, et la conjuration des rivaux qu’importunait sa faveur, et l’ancien système rentrait au conseil aulique avec les honneurs de la victoire.

Que ce retour d’opinion fût possible et sérieusement à craindre, il n’en faut d’autre preuve que l’émotion ressentie par Kaunitz, quand il vit que le moment était arrivé où de la dernière résolution de la France allait dépendre le succès de l’œuvre à laquelle il avait attaché sa fortune et son nom. Sa correspondance avec Stahremberg, ordinairement froide et réservée, prend alors un caractère inaccoutumé d’irritation et d’impatience. À la première nouvelle de la convention prussienne, il saluait cet événement comme « le plus heureux et le plus décisif qui pût arriver pour le bien de l’Autriche » ; mais il ajoutait déjà : « Il est probable que nous allons voir l’Angleterre s’efforcer d’entraîner la Russie dans son accord avec la Prusse et réaliser ainsi son ancien projet, de faire du roi de Prusse le médiateur commun et de l’installer comme l’arbitre de l’Europe (als den arbitrum von Europa därzustellen). Tout indique, disait-il quelques jours après, que nous allons voir se former une formidable ligue protestante qui sera naturellement opposée à la cour de France… Il faudrait donc que le ministère français fût frappé par le ciel d’aveuglement, s’il ne voit pas clairement l’intérêt commun de la Prusse et de l’Angleterre et les conséquences qui doivent s’ensuivre. C’est de quoi, ajoute-t-il avec une indifférence affectée, nous avons moins à prendre souci que la France elle-même : puisque dans le cas où la France persisterait dans ses préjugés haineux et voudrait se moquer de nous, il nous resterait toujours un parti à prendre, ce serait de nous rallier aux gros bataillons et d’entrer dans les idées de l’Angleterre. » — Et puis le 22 février : « Si l’idée du danger immense pour la France dans l’exécution de la ligue entre l’Angleterre, les cours de Vienne et de Pétersbourg, le roi de Prusse, les États-généraux