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remplacer par des conscrits dont quelques-uns auraient dû être ajournés ou exemptés pour faiblesse de constitution. Il n’y avait pas et il ne pouvait pas y avoir au Palais-Bourbon deux opinions à ce sujet. Malheureusement le mal était fait ; il était déjà irréparable lorsque la Chambre a été saisie de la question ; fallait-il renverser le ministre de la guerre, et le gouvernement qui se déclarait solidaire avec lui, pour un résultat négatif, et cela au moment où les représentons de la République vont à Saint-Pétersbourg assister aux obsèques du tsar ? L’occasion a paru mal choisie pour donner une nouvelle preuve de l’instabilité ministérielle qui a diminué plus d’une fois, au dehors, la confiance qu’on avait en nous. Mais les esprits sont restés émus et troublés, et on annonce qu’au moment de la discussion du budget de la guerre, la question sera reprise et traitée plus à fond qu’elle ne l’a été il y a quelques jours.

Le moment est toujours inopportun pour introduire dans notre armée le moindre élément de désordre, mais peut-être l’est-il surtout aujourd’hui, où on parle d’une expédition à Tananarive et qu’elle parait inévitable. Nous n’avons pas d’armée coloniale, nous en avons même moins que jamais, puisque nous avons tari la source de son recrutement, et, bon gré mal gré, un corps expéditionnaire devra faire des emprunts à notre armée de terre. La question de Madagascar a été posée avant-hier devant la Chambre par une question de M. Boissy d’Anglas et par la réponse qu’y a faite M. le ministre des affaires étrangères. Depuis quelques jours, le bruit s’était répandu que M. Le Myre de Vilers avait échoué dans sa mission : personne n’en a été surpris, tout le monde s’y attendait. Le gouvernement malgache, égaré par les souvenirs du passé, s’est fait plus facilement et plus promptement que nous à l’idée de la guerre, et il semble même qu’il ait voulu la provoquer pour se débarrasser du peu qui reste du traité de 1885. M. Hanotaux ne se faisait sans doute aucune illusion en envoyant M. Le Myre de Vilers à Tananarive : il voulait seulement, par cette suprême tentative de conciliation, montrer l’étendue de notre modération et laisser tous les torts à ceux qui en accepteraient la responsabilité. M. Le Myre de Vilers n’était pas chargé de négocier ou d’imposer un traité nouveau, mais bien d’obtenir que celui de 1885 devînt désormais une réalité. On lui a répondu par des contre-propositions dérisoires. A ce moment, presque tous nos compatriotes avaient déjà évacué l’intérieur de l’île et s’étaient réfugiés dans les ports. L’exode est maintenant complet. M. Le Myre de Vilers lui-même a quitté Tananarive ; toutefois il est resté à Tamatave, attendant, soit un retour improbable du gouvernement hova à de meilleurs sentimens, soit son propre rappel. Le gouvernement n’a pas voulu le rappeler avant que les Chambres, mises par lui au courant de la situation, se fussent prononcées sur les résolutions à prendre. Jamais, il faut le dire, la liberté du Parlement n’a