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aussi fier au moins de son théâtre que nous le sommes du nôtre. L’Académie Royale de Madrid vient précisément de recueillir et de publier les œuvres complètes de Juan del Encina, et c’est à propos de cette publication que M. Cotarelo s’est efforcé de déterminer le rôle véritable du vieux poète dans la formation du drame espagnol.

Formation, ou plutôt transformation : car un genre littéraire ne se crée pas de toutes pièces, et les œuvres d’Encina constituent simplement le passage de la forme dramatique ancienne à la forme classique Bien avant Encina, l’Espagne comme l’Italie et comme la France avait produit des drames religieux ou représentations ; et l’on vient, tout récemment encore, d’en publier deux : le Poème des Rois Mages et la Représentation de la Naissance de Jésus, œuvres d’un certain Gomez Manrique, qui, pour être antérieures d’un siècle aux productions pareilles d’Encina, ne leur sont pas sensiblement inférieures. Ce sont des compositions d’une simplicité toute primitive, ayant déjà, cependant, un caractère scénique très marqué.

Indépendamment de cet art religieux, maints autres élémens ont concouru à produire le drame classique espagnol. Le théâtre latin de Plaute et de Térence, à dire vrai, ne fut jamais populaire en Espagne, pas même au temps de la domination romaine. Mais les mimes et les farces atellanes, au contraire, y obtinrent tout de suite un immense succès ; ils y restèrent en grand honneur de longs siècles encore après la chute de l’Empire romain.

M. Cotarelo se refuse, en revanche, à admettre l’hypothèse d’un théâtre provençal précédant et produisant le théâtre classique espagnol. Et c’est là en effet une hypothèse bien hasardeuse. Sur la foi d’un passage de Nostradamus, certains critiques romanisans ont imaginé que la Provence avait possédé, au moyen âge, toute une école de dramaturges, et que les autos des grands tragiques espagnols de la Renaissance n’avaient fait qu’imiter ces auteurs provençaux, les Anselme de Faydit, les Arnauld Daniel, les Roger de Clermont. Malheureusement il ne nous est rien parvenu de ces drames ; et à supposer même qu’ils aient eu une valeur littéraire réelle, rien ne prouve qu’ils aient exercé la moindre influence sur l’évolution du théâtre espagnol.

La véritable origine de ce théâtre doit être cherchée dans les drames religieux, dans les farces païennes, et aussi dans toute une série de jeux et de fêtes qui, sans relever aucunement de l’art dramatique, n’en offraient pas moins une grande part de mise en scène théâtrale : les rocas ou rouelles, les reinados, ou réjouissances publiques au début d’un règne, les mayos ou festivals de mai.

C’est de tout cela qu’est sorti le drame espagnol. Encore fallait-il l’en faire sortir, lui donner une forme littéraire nouvelle, l’élever à la