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traduire, en les adaptant à nos goûts français, les romans de M. Perez Galdos et de don Juan Valera : à peine réussira-t-on à nous faire deviner comment ils peuvent avoir tant de prise sur le public espagnol. Et encore le roman est-il peut-être, de tous les genres littéraires, celui qui compte aujourd’hui en Espagne le moins de représentans d’une réelle originalité. La poésie, la critique, l’histoire surtout, en comptent bien davantage, et de bien plus intéressans ; mais poètes, critiques, historiens, tous les écrivains espagnols emploient leur talent à traiter des sujets qui décidément n’ont pas assez d’intérêt pour nous. Nous nous sommes trop éloignés de l’Espagne, nous avons trop pris l’habitude de porter ailleurs nos curiosités. Comment espérer que les savantes études de M. Menendez y Pelayo sur le vieux dramaturge Rojas, ou celles de M. Barrantes sur le poète Villegas, trouvent de l’écho dans un pays où Don Quichotte lui-même n’amuse plus guère personne ?


En Espagne au contraire le roman de Cervantes est plus lu, plus admiré que jamais. Je ne crois pas que Dante en Italie, ni Molière chez nous, soient restés l’objet d’un culte aussi général. Il n’est pas une des mésaventures de l’ingénieux hidalgo qui ne demeure présente à tous les esprits ; et pas un mois ne se passe sans qu’un nouveau travail ramène l’attention du public sur ce personnage ridicule et sublime.

Voici par exemple un auteur qui, écrivant sous le pseudonyme de Polinous, se met en peine d’expliquer mot par mot le sens caché de Don Quichotte. Et pour commencer, se douterait-on de ce que peut signifier le nom de Quichotte ? « Imaginez un père qui, pour soustraire son fils à la cruauté de ses ennemis, le défigure, coupant ses longs cheveux bouclés, brouillant son délicat visage, couvrant ses formes élégantes d’un sarrau de paysan. Que hijote ! (quel fils ! ) s’écrie ce père, partagé entre le chagrin et la joie. Et pareillement s’est écrié Cervantes, en contemplant le fils de sa merveilleuse fantaisie changé en une caricature, mais, à ce prix, délivré de la mort. »

Tout le commentaire est sur ce ton. Polinous est plus ingénieux encore que l’ingénieux hidalgo. Il nous apprend que don Quichotte est né à la Mancha pour signifier que nous naissons tous avec la tache (mancha) de l’ignorance ; et que l’aubergiste (ventero) qui arme don Quichotte chevalier est en réalité le symbole de l’éditeur, dispensateur de la vente.


Moins ingénieuses, mais infiniment plus sérieuses sont les Notes sur don Quichotte de M. José Maria Asensio, que vient de publier la Espana moderna. Elles traitent de divers points de détail, notamment des premières éditions du roman, des corrections et des suppressions qu’y a faites l’auteur. Car il est aujourd’hui établi que deux chapitres au moins