Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/424

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

royauté joue là-dedans un assez vilain personnage, sans compter Geoffroy, qui voit dans cette défense des Templiers une approbation des idéologues, des libéraux. Elle tient bon, se pique au jeu, met en avant des argumens que son cœur de mère et de femme juge irrésistibles : elle a mené son fils Charles aux Templiers, et il a pleuré plusieurs fois, et depuis il cause de la tragédie, il en a retenu des vers, il les joue, et les beaux sentimens qu’ils affirment ébranlent sa jeune âme. Qu’est-ce que pourrait objecter M. le premier chambellan ? Ses amis, sa mère, Mme de Vergennes, pleurent et repleurent comme le public : pourquoi l’empereur ne serait-il pas content, alors qu’un tonnerre d’applaudissemens accueille ce mot de Philippe le Bel parlant du roi d’Angleterre :


La terreur de mon nom le poursuit dans son île ?

Et l’on peut croire qu’en effet la mauvaise humeur du maître se calma, puisqu’il fait jouer les Templiers à Saint-Cloud, le 25 juillet 1805, et que l’auteur remporta un prix de 10 000 francs institué par lui.

Les tribulations de Mme de Rémusat reprennent de plus belle : tantôt c’est Napoléon qui, à l’improviste, réclame pour Saint-Cloud des spectacles en dehors du programme ; une autre fois ce sont Mlles Duchesnois, Volnais, Bourgoin, qui lèvent l’étendard de la révolte, se plaignent du premier chambellan, arrachent à la bonté de Joséphine l’ordre de leur délivrer congé et part. Que fût-il advenu si M. Auguste de Talleyrand n’avait observé qu’il lui fallait un ordre écrit de Sa Majesté ? Heureusement celle-ci n’a pas osé se compromettre à ce point, et elle a congédié les solliciteurs avec de l’eau bénite de cour. Mme de Rémusat voit l’impératrice, qui, comprenant son imprudence, recule sur toute la ligne, déclare que les princesses de théâtre ont chamarré la vérité. C’est égal ! en attendant que son mari revienne, il devrait écrire une bonne lettre salée, faire luire l’espoir des récompenses pour les zélés, prêcher la nécessité d’attirer le public par des ouvrages bien montés. La bonne lettre salée est envoyée et fait son effet. Duchesnois vient demander pardon : « Elle a désiré que je vous écrivisse qu’elle était une folle, et j’ai promis que vous le croiriez. » Mais la Comédie n’est pas seule ; un vent d’indiscipline souffle de toutes parts : Campenon, remplaçant provisoire de Mahérault malade, a reçu mainte lettre où on le menace de la bastonnade, parce qu’il manifeste quelque fermeté ; à l’Opéra, Rolland, Nourrit, Mme Branchu, donnent leur démission, refusent de connaître l’autorité de M. de Luçay ; on ne va plus à ce théâtre que pour entendre les jambes de Duport et de Mme Gardel ; De grâce, ramenez-nous de Vienne les grands talens, Crescentini, Marchesi, Bianchi, la Catalani ! Aux