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Horace et Manlius, escortés de l’attirail tragique, faisaient leur entrée à Dresde.

A Dresde comme à Erfurt, les comédiens jouent devant un parterre de rois : l’empereur et l’impératrice d’Autriche, vingt princes allemands, des ducs souverains, les chambellans de l’aigle, mais des chambellans tout prêts à casser leurs clefs sur sa tête ; car l’heure est troublée, l’armistice semble précaire, la paix impossible : on croit entendre les derniers coups de canon de Lutzen, le sol tremble du fracas des armées qui vont se coaliser. Trois fois par semaine, comédie à la cour, et, comme le théâtre du palais est trop petit pour la tragédie, on la réserve pour le grand théâtre de la ville, où l’on est admis, sans rétribution, avec des billets du comte de Turenne. La comédie put y jouer aussi, et, quelques-uns se montrant disposés à en tirer profit, Fleury, affirment ses Mémoires, avait combattu la proposition : « Lorsque je suis à Dresde, dit-il, c’est d’après les ordres de Sa Majesté et pour son service ; je me regarde en ce moment comme dans sa maison, et je ne jouerai jamais la comédie sur le théâtre de ville pour de l’argent ; gratis, tant qu’on voudra ! Je suis aux ordres de l’Empereur, et sans doute Sa Majesté n’a pas l’intention de faire payer par la ville de Dresde les personnes attachées à sa maison. » On fit part du propos à l’empereur : « — C’est Fleury qui a parlé ainsi ? s’écria-t-il ; avouez que c’est Fleury : je reconnais là sa hauteur… Ma foi, c’est bien, c’est très bien ! » — Et, par son ordre, les comédiens donnèrent plusieurs représentations gratuites. La noblesse saxonne, très friande de spectacles, les fête, les choie, et Baptiste cadet intrigua de façon fort plaisante les invités du général Durosnel, sous le costume de Milord Bristol, diplomate anglais se rendant au congrès de Prague. Ils jouent vingt-cinq fois en quarante jours, et la récompense ne se fait pas attendre : 111 500 francs de gratifications prises sur la caisse des théâtres, ainsi réparties : Desprez, Saint-Prix, Saint-Fal, Baptiste cadet, Armand, Vigny, Emilie Contat, Bourgoin, chacun 6 000 francs ; — Talma, Mlle Georges, 8 000, ; — Fleury, Mlle Mars, 10 000 ; — Michot, M. et Mme Thénard, Michelot, Mézeray, 4 000 ; — Barbier, 8 000 ; — Maigneu, 2000 ; Préchot, 1 500 ; les figurans, le perruquier, le machiniste, chacun 500. Les frais de retour s’élevèrent au chiffre de 42 800 francs.

Fleury, Mlle Mars[1], étaient mieux traités que les autres, et l’esprit de celle-ci n’avait pas nui sans doute à cette faveur. A Dresde L’empereur cause plusieurs fois avec elle, l’invite même à déjeuner, et, un jour qu’il la questionnait sur ses débuts : « Sire,

  1. Née en 1778, morte en 1847.