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pendant l’hiver de 1808, on y donna, aux jours de cercle, des spectacles français ou italiens, à la grande joie des habitans de Paris, auxquels on distribuait les places des galeries supérieures. Un soir qu’on attendait Leurs Majestés pour commencer, toute la cour était en costume de gala, quand tout à coup l’ordre vint de jouer sans plus tarder : l’Empereur se trouvait un peu souffrant, et ne paraîtrait pas. MM. de Talleyrand et de Rémusat voulurent éclaircir ce petit mystère, et n’eurent pas de peine à provoquer les confidences de Joséphine. A la nouvelle de l’indisposition, elle était montée dans sa chambre, l’avait trouvé très agité par la pensée de ce divorce qu’il jugeait nécessaire avec son cerveau, et repoussait avec son cœur, Joséphine étant de toutes les femmes celle qu’il avait le plus tendrement aimée. A sa vue, il l’attire, sans égard pour sa toilette, la presse dans ses bras, répète mille fois en pleurant : « Ma pauvre Joséphine, je ne pourrai point te quitter », tandis qu’elle répondait : « Sire, calmez-vous, sachez ce que vous voulez, et finissons de telles scènes. » Toute la nuit se passa dans des alternatives de tendresse et de crise nerveuse… et voilà pourquoi Leurs Majestés faussèrent politesse aux spectateurs.

Le divorce eut lieu cependant, et le mariage de Marie-Louise amenait aux châteaux de Compiègne et de Saint-Cloud la Comédie-Française. Elle y joue le Cid, Phèdre, Andromaque, Britannicus, le Legs, Iphigénie en Aulide, et les malicieux de chuchoter que le choix d’Iphigénie ne paraît pas heureux, la nouvelle impératrice ayant l’air d’une victime de la politique, et de rappeler une aventure désagréable survenue l’an dernier chez le prince de Neuchâtel, au château de Grosbois. Le prince avait appelé la troupe des Variétés pour jouer Cadet-Roussel maître de déclamation, une farce au gros sel où l’acteur Brunet se montrait d’une verve désopilante. A la surprise générale, on l’entend se lamenter de n’avoir pas d’héritier : « Il est douloureux pour un homme tel que moi de n’avoir personne à qui transmettre l’héritage de sa gloire. Décidément je vais divorcer pour épouser une jeune femme avec laquelle j’aurai des enfans. « Embarras des spectateurs, tristesse de Joséphine, colère de l’empereur, qui interroge son hôte : « Depuis quand joue-t-on cette pièce ? — Depuis un an, Sire. — Et elle a eu du succès ? — Un immense succès. — C’est fâcheux, si j’en avais eu connaissance, je l’aurais interdite. »

Marie-Louise n’aimant guère la tragédie, on la remplace par la comédie, et la salle de Compiègne voit défiler le Misanthrope, Tartufe, la Gageure imprévue, la Jeunesse de Henri IV, le Secret du Ménage, les Projets de Mariage ; Fleury, Mlle Mars, Michot, Volnais y obtiennent de grands succès. Napoléon se montre plus galant pour la fille des Césars que pour Joséphine, et, pendant