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lui reproche de ne pas faire sentir assez le combat d’une mauvaise nature avec une mauvaise éducation, il approuve pleinement sa pantomime, lorsque Agrippine énumère ses bienfaits : tandis qu’elle parle, Talma-Néron jouait négligemment avec son manteau, marquant ainsi l’indifférence et l’ennui que lui cause ce sermon ; Monvel lui avait conseillé ce jeu muet, dont Lekain s’avisa le premier. Persuadé que la tragédie est tout aussi bien dans la nature que la comédie, on sait que l’empereur prétendait ramener ses interprètes à la plus grande simplicité.

En 1807, la cour s’installe pendant deux mois à Fontainebleau pour célébrer le mariage de la reine de Westphalie : princes et princesses de la famille impériale ont reçu l’ordre d’y transporter une partie de leurs maisons, de tenir table particulière, de donner des fêtes. Chasses où les dames de chaque Altesse portent un costume spécial ; concerts où se succèdent les meilleurs artistes de l’Italie, la Grassini, la Catalani ; spectacles de la Comédie-Française, — tout est réglé d’avance. C’est presque le parterre d’Erfurt, et Talleyrand circule à travers cette cohue chamarrée, en répétant avec son grand air impassible : « L’empereur ne badine pas, il veut qu’on s’amuse. » Mais justement on ne s’amusait pas, ou l’on ne s’amusait que quand il n’était pas là : l’ennui tombant de haut n’en était que plus pesant. On décrète à la rigueur et on paie l’enthousiasme, mais la joie ni le plaisir ne se mènent au tambour ; et Napoléon s’étonnait que les visages restassent froids, allongés, au lieu de s’en prendre à lui-même. Trop de tragédies ! Les interminables tirades en assommaient ces jeunes femmes qui auraient donné Corneille, Racine et Voltaire pour une demi-douzaine de comédies pimpantes : puis, comme on n’osait pas applaudir devant l’Empereur, la salle semblait une banquise. Quant à lui, il arrive au théâtre fatigué de la chasse, mécontent, préoccupé, rêve ou s’endort : et sans doute telle tragédie de Baour-Lormian ou d’Arnault ne mérite pas meilleur sort, et les premiers projets de divorce, la lutte contre l’Angleterre, les affaires espagnoles, ont de quoi absorber le maître de céans. Mais se permettre toutes les libertés, toutes les indiscrétions, n’en tolérer aucune, supprimer l’influence de la femme et la réduire à la condition d’un instrument déplaisir, une telle politique tue forcément le sourire, la joie, le bon goût dans une cour comme dans un salon : et cependant, ces choses que les pessimistes, les solitaires affectent de dédaigner, le monde, la société, l’élégance des mœurs, la grâce, il en savait l’importance, puisqu’il choisissait de préférence chambellans, dames d’honneur, dames du palais parmi les personnages de la vieille cour ou leurs descendans.

Le théâtre du palais des Tuileries venait d’être terminé, et,