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Burne-Jones sont de l’aquarelle, mais pour se figurer une aquarelle de Burne-Jones, il faut vider ce mot de tout son sens habituel, en chasser toute idée de fraîcheur, de fluidité, de gaieté, de fantaisie, de taches savantes et joyeuses, et d’heureuse réussite, tout souvenir de Turner ou simplement de miss Clara Montalba. L’empâtement le plus compliqué, par petites touches sèches sur d’autres touches séchées, la recherche exclusive du corps, body, aux dépens de la vibration, et de la couleur riche au lieu du ton fin, donnent à ces figures l’aspect de statues peintes et vernissées. Elles ne baignent pas dans l’air ; leurs contours ne se fondent pas dans la couleur ambiante ; elles gisent dans le vide d’une cloche pneumatique. Mais quand, malgré tout, les chairs sont parvenues à être solides et les mains à être modelées, on oublie le reste : le labeur de la facture, la convention de la donnée, l’âcreté de la touche, la lourdeur de cette pâte feuilletée. Le portrait de miss Amy Gaskell, exposé cette année à la New Gallery, arrachait aux plus obstinés un cri d’admiration. Faux de ton, faux d’effet, épais de facture, mais merveilleusement modelé sous sa blancheur mate, il donnait l’impression d’un beau portrait de M. Hébert : on maudit la manière, on s’incline devant le résultat.

Dessinées souvent par à peu près, toujours peintes avec lourdeur, les figures de Burne-Jones sont, en revanche, admirablement posées. La composition, si on la restreint à l’agencement des lignes, l’ordre et le mouvement qu’on met dans les contours, n’a peut-être pas aujourd’hui en Europe un maître égal à ce maître. Non qu’il sache ordonner de grands ensembles : le Festin de Pelée, le Miroir de Vénus, offrent un intérêt trop divisé pour être puissant. Même l’Escalier d’or contient plusieurs figures qui ne sont que des redites et dont l’absence ne nuirait nullement à l’ensemble. Mais ses figures isolées, comme cette Espérance qu’il montre debout dans une prison, une main tenant, une tige fleurie, l’autre perdue dans un nuage, mettant ainsi un peu d’elle-même hors des barreaux de fer de la vie, ou bien encore cette Foi sous un dôme, tenant la lampe symbolique, ou bien sa Sibylle de Delphes, ou bien ses Jours de la création, sont des merveilles d’agencement. — Chaque jour de la création est représenté par un ange, debout, dans un fouillis de plis de robes et de plumes d’ailes, tenant un globe de cristal. Dans ce globe vient se refléter le travail fait par Dieu, pendant la période de temps qu’il représente. Ainsi, le troisième jour, on voit s’y profiler de fins feuillages selon le mot : Et Dieu dit : « Que la terre porte du gazon et l’arbre produisant du fruit… » Le cinquième jour, on voit dans le globe un vol de grands oiseaux de mer, et les pieds de l’ange reposent sur une grève pleine de coquillages. A mesure que la semaine créatrice