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psychologues. Si Circé se relevait, elle se heurterait la tête au plafond, et cette idée augmente le malaise qu’on éprouve en la voyant courbée en deux, le bras allongé vers le cratère de vin qu’elle offrira aux Grecs, et où elle verse parcimonieusement les gouttes du philtre abhorré. Point ou peu de perspective. Dans l’Escalier d’or, les figures placées au bas de cette échelle extraordinaire sont à peine plus grandes que celles qui sont encore sur les marches les plus hautes. Dans l’Amour parmi les ruines, les lignes parallèles du portique divergent, en s’éloignant, au lieu de converger. Dans l’Annonciation, l’ange Gabriel est à ce point plus grand que la Vierge, qu’il semble que le tableau doive être regardé de haut en bas, mais la descente des lignes fuyantes du portique montre bien que la ligne d’horizon passe aux yeux de la Vierge, et qu’ainsi le premier plan se trouve en bas et non en haut. Dans la construction du temple de Jérusalem, la perspective est sacrifiée de parti pris. — La chronologie n’est pas plus en faveur auprès du peintre. S’il ne prend pas tous ses sujets dans le cycle d’Arthur, il les revêt tous des couleurs de la légende, même son Annonciation qui se passe sous des bas-reliefs Renaissance, même son Adoration des Mages où un condottiere offre des présens à la victime future de Ponce-Pilate. Ses Grecs parlent comme Chaucer et ses héros bretons se promènent dans un décor du Décameron. On les appellerait volontiers sir Troïlus et lady Cressida. Comme les doux rêves socialistes de son ami William Morris, on pourrait intituler les œuvres de Burne-Jones : Tableaux de nulle part.

Chimérique aussi sa couleur, en ce sens que la vérité du ton est ce qui le préoccupe le moins. C’est le brillant du verre poli, le louche éclat du bronze lumineux, la splendeur assourdie du miroir noir. Mais quoique très vive, cette couleur devient parfois harmonieuse. Rien de doux alors comme les reflets d’une rose sur une cuirasse, d’un pied nu sur un pavé de marbre, d’une draperie sur un fond de métal. Rien de plus reposant que cet aspect de vieux vitrail. Malheureusement la facture en est aussi pénible que l’effet harmonieux. On sent un effort continu et répété, un labeur opiniâtre qui sans cesse recommence. Aucun laisser aller, aucune liberté du pinceau. C’est, en apparence, l’alchimie de M. Hébert et parfois de Millet. On ne voudrait pour rien au monde être obligé de copier un tableau de Burne-Jones. Quand tout ce travail n’aboutit pas, on ne sent que la peine, et la facture fatigue l’œil du spectateur autant qu’elle a fatigué la main de l’exécutant. Les pierres ont l’air d’être tissées comme des tapisseries, et les draperies d’être maçonnées comme des murailles. Les étoffes semblent de plomb, les pieds de coton, les fleurs de fer. Beaucoup de tableaux de