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c’est le portrait qui le met hors de pair et lui donne une place parmi les maîtres anglais. Frank Holl y a obtenu de grands succès ; Millais y a été aussi heureux que dans tout ce qu’il a entrepris. Mais peut-être que pour approfondir une physionomie britannique, pour y démêler tout ce que le Créateur y a mis d’amour-propre et de ténacité, de passion froide et d’emportement sanguin, de mâle noblesse et de puérile respectabilité, il fallait de nos jours encore un étranger, un Allemand, comme aux jours de Henri VIII. Comme Holbein, M. Herkomer vient d’Allemagne ; mais son entrée a été moins pompeuse : ce n’est pas dans la force de l’âge, dans la plénitude du talent, avec des lettres de recommandation pour le chancelier, que le membre actuel de la Royal Academy, le maître des cent cinquante peintres de l’école de Bushey, le châtelain de Lululund, est entré à Londres. Lorsqu’en mai 1857 un ménage d’ouvriers bavarois débarquait sur la côte anglaise, menant par la main un délicat enfant de huit ans, personne n’eût pu croire à une telle fortune. Cette famille avait fui le pays natal, — Waal près de Landsberg-sur-Lech, — ruinée par la révolution de 1848, et avait émigré en Amérique. Là, malgré toute l’industrie du père, un menuisier, un de ces ouvriers artistes, énergiques, intelligens, rangés ; malgré les efforts de la mère, musicienne d’instinct et d’éducation, l’on n’avait pu que vivre, et il fallait non seulement vivre, mais assurer la carrière de l’enfant. Bien d’autres se seraient découragés, accusant le destin plus fort qu’eux. Mais ce vieil Allemand, à la tête carrée, au cœur chaud, ne connaissait pas ces sophismes qui dispensent de l’effort, en exagérant l’obstacle, et vous invitent à pleurer sur des ruines, tandis que passent devant vous, sur la route, des matériaux d’avenir. Il reprit le paquebot et vint tenter la chance en Angleterre, disant obstinément : « Mon fils sera un peintre ! » Le mauvais destin se lassa, les événemens cédèrent. Son fils devint un peintre, un grand peintre, comme il l’avait voulu. Sa vie devait être encore bien traversée d’épreuves, mais du moins les vaillans parens qui lui avaient fait plus douce la route devaient jouir de ses premiers pas. Et aujourd’hui qu’ils ne sont plus, on voit sur les bords du Lech, près de Landsberg, en Bavière, une haute tour gothique s’élever au milieu des arbres : c’est la tour construite par le fils en mémoire de la mère ; et dans le château de Lululund, près de Londres, la grande tour du milieu porte aussi le nom de « Mother’s tower ». C’est ainsi que l’artiste, par un symbolisme bien germanique, a réuni ses deux patries, — celle de la naissance et celle de la gloire, — en leur faisant porter à toutes les deux le même souvenir filial.

Le portrait, comme l’entend M. Herkomer, ne procède