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de la façon dont le monde peut aller. Il suit dans son jardin Tarquin le Superbe fauchant de son sceptre les pavots ; il attend une audience d’Agrippa, mêlé à la foule des solliciteurs ; il hue Claude se cachant derrière un rideau et rit de plaisir au défilé des Bacchantes. Rien ne vient le tirer de cette contemplation rétrospective où il vit depuis trente ans. Non seulement toutes ses lectures, non seulement toutes ses recherches, toutes ses pensées le ramènent à la cité antique ; mais, pour qu’il lui fût impossible d’en sortir, il s’est bâti, aux environs de Londres, une maison romaine où son rêve est devenu réalité. Dès le jardin qui l’entoure et le portique qui y conduit, avant d’avoir mis le pied sur le seuil ou un SALVE de mosaïque vous invite, on se sent dépaysé et trop vieux de dix-huit cents ans. Comment faire ouvrir cette lourde porte de bois ? Aucune sonnette, aucun marteau n’apparaît ; seul un masque de cuivre, une face hideuse de comédie, grimace sur la porte. Mieux avisé, vous saisissez cette figure et vous en meurtrissez le panneau qui s’ouvre enfin avec un long écho. Voici les murs épais, les revêtemens de marbre, les escaliers brillans d’une maison antique. Voici l’atrium avec ses colonnes, la serre avec ses palmiers et, dans un coin, l’autel avec les offrandes aux dieux lares. Voici l’atelier avec son grand dôme, ses colonnes doriques, et l’on peut se croire chez Antistius Labéon, un jour où le proconsul a laissé là les affaires pour peindre. On écoute l’eau des vasques chuchoter des airs qu’elle chuchotait déjà au temps d’Ovide ; on regarde briller les mêmes fleurs qui brillaient à Caprée. On oublie Covent Garden, le Derby, la crise agricole, Madagascar, et la dernière inauguration du Prince de Galles. L’artiste alors apparaît pleinement ce qu’il est : un peintre de genre, un reporter habile et sensitif, qui décrit ce qu’il a vu, raconte ce qu’il a entendu, hier, aujourd’hui, dans la foule des affranchis ou à la table des sénateurs. L’autre matin, il a aperçu quelques gracieuses jeunes filles, avec des fleurs, se ranger autour de l’escalier d’or qui descend de son atelier pour une cérémonie, une bénédiction : il les a peintes, et a envoyé cela à la New Gallery. Vous l’étonneriez beaucoup en lui disant qu’il ne peint pas son temps et son pays : il n’en connaît pas d’autres. Cela de l’archéologie, fi donc ! Mais c’est de la vie courante. Ce n’est plus la Rome de David ou du Poussin, les cérémonies publiques, les actions d’éclat, les grands événemens qui bouleversent le monde autour des rostres retentis-sans. Nous avons ici la Rome de l’intimité, la Rome telle qu’on la voit dans les lettres de Cicéron à Atticus, dans Térence et dans Plaute. Pour notre époque, lasse des grands traits de l’histoire et