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Russie. Étions-nous décidés, non seulement à ne pas reprendre nos limites naturelles, mais à renoncer à toute initiative extérieure, à demeurer chez nous les pieds immobiles et les mains à la ceinture, satisfaits de n’être plus grands, semblables à des fakirs indiens accroupis sur leurs talons, — sans rompre en visière avec la Russie, c’est l’alliance anglaise qu’il fallait adopter. N’étions-nous pas résignés à rester une puissance de second ordre, méditions-nous de retrouver notre prépondérance morale et nos frontières rognées, sentions-nous circuler encore dans nos veines le sang des héros des croisades religieuses et des croisades politiques, — sans déclarer de l’hostilité à l’Angleterre, c’est l’alliance russe qu’il fallait rechercher. La première alliance était celle de l’inertie ; la seconde, celle de l’ambition.

La crainte même que ceux qui redoutaient notre relèvement éprouvaient d’une alliance avec la Russie l’indiquait à nos préférences après 1815.

Louis XVIII préféra ouvertement l’amitié anglaise. Il déclara, avant même de rentrer dans son royaume, qu’après Dieu c’était au régent d’Angleterre qu’il devait sa couronne. Il n’oubliait pas qu’Alexandre, en ce moment hostile à Napoléon, avait affectueusement pactisé avec lui autrefois, faiblesse que n’avait point eue le Régent. Comme, d’autre part, Louis XVIII ne songeait pas à restaurer la grandeur française, il ne fut pas attiré par les facilités qu’il trouverait pour un tel dessein dans un rapprochement intime avec la Russie : loin de le tenter, il ne reconnut pas même suffisamment ce qu’il avait dû en dernier lieu à Alexandre. En toute occasion il affectait de le considérer comme de petite race ; il prenait le pas sur lui ; il ne lui envoya pas le cordon bleu, quoiqu’il le désirât ; il dédaigna la main de sa sœur.

Talleyrand avait été le ministre de cette politique dévouée à l’alliance anglaise, indifférente ou plutôt hostile à l’alliance russe. Avec Richelieu l’alliance russe prévalut. Les Bourbons s’en trouvèrent bien. Quoiqu’il tînt à ne pas contracter des liens exclusifs avec nous et à conserver l’union avec ses alliés des jours de combat, Alexandre ne nous ménagea pas les témoignages de son bon vouloir. Il soutint Richelieu à la fois contre Monsieur et son entourage et contre l’implacabilité de la Prusse, les ombrages de l’Angleterre, la malveillance sournoise de l’Autriche. A l’intérieur, il contribua à faire prévaloir par ses conseils une politique libérale, il poussa à la dissolution de la Chambre de la Terreur blanche ; à l’extérieur, il seconda toutes les mesures propres à adoucir nos charges, et à libérer noire territoire. La Prusse eût voulu que l’armée d’occupation retirée fût tenue à proximité de