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de Vienne : après avoir indiqué l’importance capitale du concours de l’Angleterre dans les questions auxquelles nous sommes intéressés, il indique que le moyen efficace de l’obtenir est de seconder sa passion philanthropique contre la traite.

Même quand elle n’a pas été le serviteur scrupuleux du droit, l’Angleterre a eu un don précieux, son privilège en quelque sorte exclusif, elle a été le maître de la raison en politique : elle en a tenu école au profit des nations et mérité par là le respect de tout être pensant, quelle que soit sa patrie. De même que ses députés siègent au parlement le chapeau sur la tête, son peuple de complexion véhémente applaudit parfois avec complaisance aux excitations violentes et ne se défend pas dans ses démonstrations publiques d’une certaine brutalité extravagante de sentimens ; toutefois, au moment d’agir, il se calme et revient habituellement au bon sens pratique ; il garde le respect et le sérieux, — accord tout naturel, le sérieux n’étant que le respect de soi-même.

Cette sagesse est le fruit de la méthode à laquelle l’esprit anglais s’est depuis longtemps façonné, méthode bien différente de la nôtre. Nous commençons presque toujours par poser a priori un principe abstrait, une hypothèse à la façon de la théologie, un axiome a la manière des mathématiques. Nous l’admettons comme un point de départ indiscutable, puis, par une série serrée de syllogismes, nous descendons de conséquences en conséquences, par voie de déduction, de l’abstrait au concret, du général au particulier, de l’idée à l’acte. Les faits s’accommodent comme ils peuvent à ce travail de logique : nous ne les avons pas consultés.

L’Anglais procède autrement. Il débute par l’observation des faits : lorsqu’il les a notés, définis, analysés, classés, il s’élève, par la montée lente et patiente de la recherche inductive, du concret à l’abstrait, du particulier au général, des faits aux principes qui en sont le résultat et le résumé, principes transitoires eux-mêmes, contingens, toujours révisables d’après des observations mieux conduites. Cette manière de chercher le vrai a du terre à terre ; elle ne prête pas aux phrases brillantes, mais elle préserve de l’à-peu-près, ce fléau de l’esprit ; elle n’ouvre pas les ailes de l’imagination, mais elle ne les expose pas à fondre au soleil ; elle n’arrive pas aux visions prophétiques, mais elle établit en une solide assiette et préserve des déceptions. Les faits se vengent de ceux qui les dédaignent en renversant leurs superbes abstractions.

Précisément parce que trop souvent la France se plaît à cheminer à travers les hypothèses risquées, les théories abstraites, une alliance entre les deux pays eût produit des résultats merveilleux. C’eût été un spectacle à ravir les esprits, la véritable fête civilisatrice du genre humain. Nous nous serions réciproquement