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Russie et l’Angleterre en constituaient le centre et la réserve sur le continent et sur les mers.

Les peuples n’avaient pas été mieux traités. Ils furent muselés, trahis, remis sous le joug despotique dont nous les avions à peine émancipés et, sauf en Pologne, on ne tint aucun compte des promesses de liberté qu’on leur avait prodiguées pour les soulever contre leurs véritables libérateurs. L’Italie, dépecée avec autant de désinvolture qu’une terra incognita qui n’a jamais été habitée, resta divisée en sept États nominalement indépendans. La République de Gênes détruite appartint au roi de Piémont devenu par là duc de Gênes. La Lombardie et la Vénétie, condamnées à oublier qu’elles étaient italiennes, entrèrent parmi les provinces de l’empereur d’Autriche.

L’indépendance des États non annexés à l’Autriche avait été aussitôt détruite que reconnue. Le roi de Naples, les ducs de Parme et de Modène s’obligèrent par des traités (12 juin 1815) à n’introduire dans leurs États aucune modification constitutionnelle inconciliable, soit avec les antiques institutions monarchiques, soit avec les principes adoptés par l’empereur d’Autriche dans le gouvernement de ses provinces italiennes. Ils s’engagèrent en outre à dénoncer à Vienne les menées dont ils pourraient avoir connaissance contre le repos de la péninsule et à fournir un subside en cas de guerre (25 000 hommes, puis 12 000 Naples, 6 000 la Toscane). A la domination française, apprentissage de liberté, succédait la domination autrichienne, pure servitude.

L’Autriche aurait voulu prendre au Piémont le Haut Nova-rais et Alexandrie, à Rome les Légations. « Ils sont comme la glu, écrivait Charles-Félix à son frère Victor-Emmanuel, dont on ne peut jamais se nettoyer bien les doigts une fois qu’on l’a touchée. » A défaut d’une annexion, elle eût voulu au moins soumettre le Piémont et Rome à la subordination déjà obtenue de cinq des principautés indépendantes d’Italie. Ni le Piémont ni Rome n’y consentirent. Le roi Victor-Emmanuel refusa de se lier exclusivement avec aucun de ses deux puissans voisins, « afin de rester libre de se rapprocher de l’un ou de l’autre suivant son intérêt. » Consalvi, au nom de Pie VII, dit « que le Saint-Siège refusait de participer à une ligue de nature à l’entraîner à une guerre contre une puissance quelconque. » L’Autriche eût poussé l’insistance jusqu’à l’emploi de la force, si Alexandre n’avait défendu le Piémont et Rome à épée tirée (a spada tratta), déclarant à Metternich qu’une alliance spéciale avec le roi de Piémont serait la violation des engagemens contractés envers la Russie, puisque la quadruple alliance excluait tout traité particulier.

En Allemagne, aucune domination étrangère n’avait été