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fioritures ; accompagnemens syllabiques des chœurs, tout cela se ressemble, et tout cela se vaut. Nul n’ignore que dans le duo final entre Othello et Desdemone, Rossini a fait revenir à l’orchestre, oui revenir du Barbier ! le motif de la Calomnie. Il n’y entendait pas malice, dit-on. On se trompe peut-être. Peut-être ce rappel n’est-il qu’une malice au contraire, et une ironie : le maître, au terme d’un tel ouvrage, se rendait enfin justice, et s’excusait avec un sourire d’avoir été lui-même le grand calomniateur. Mais voici l’autre Othello, celui où tout est véridique et loyal ; où tout est fidélité, respect, amour. Le poète, d’abord, ne s’est permis avec Shakspeare que les retranchemens nécessaires. Forcé de raccourcir, de condenser, de transposer aussi, jamais il n’a dénaturé ni méconnu. Tout Shakspeare ne pouvait entrer dans un scénario d’opéra ; du moins n’y est-il rien entré qui par la pensée ou la parole, par l’une et l’autre quelquefois, ne soit de Shakspeare ; rien qui ne soit lui ou digne de lui. C’est donc l’âme, les âmes shakspeariennes mêmes que M. Boito a livrées à Verdi, et ces âmes déjà vivantes par les mots, les notes les ont fait vivre encore et peut-être davantage. De l’original humain, la musique, après et d’après la poésie, a donné comme une seconde épreuve, et celle-ci n’est pas inégale à l’autre ; comme l’autre elle est ressemblante et elle est belle ; ou plutôt elle est belle parce qu’elle est ressemblante.

Cherchons donc cette beauté dans cette ressemblance, dans la conformité de la musique avec les sentimens et les passions, avec l’âme encore une fois, qui en art comme en tout demeure le terme et le fond. C’est elle qui chez les personnages du drame musical ne cesse de se manifester. Les caractères sont posés dès le début ; jusqu’au bout ils se soutiennent et se développent. Il suffit d’être attentif, mais il faut l’être, pour en suivre l’évolution, en surprendre les variantes rapides et les nuances sans nombre. L’œuvre, allions-nous dire, crie tout entière de vérité. Non, pas tout entière, et la vérité qui sans doute y crie parfois, d’autres fois y gémit, y soupire ; elle y parle même tout bas. Comme (die-chante d’abord dans tout le duo du premier acte ! De la scène shakspearienne du Sénat et du plaidoyer du More, M. Boito a su retenir et reporter ici tout ce qui devait nous être dit sans retard d’Othello, de Desdemone et de leur amour. Othello héroïque, ainsi qu’il sera toujours, mais calme, l’abandonnant, tel qu’il ne sera plus jamais ; Desdemone charmée et compatissante ; leur tendresse née de la souffrance et de la pitié, il fallait que la musique montrât tout cela. Elle l’a montré dans cet admirable duo d’amour, unique page où plane la paix, où sourit l’espérance. Amour chez Othello viril et fort, dont le timbre des violoncelles, dont la première phrase du ténor, en notes graves, expriment d’abord la plénitude