Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les occupations de la journée sont finies, que l’heure s’avance et que tout dort dans la maison, on approche la petite table du coin du feu, on prépare le thé, en parlant des petits événemens du jour, des affaires de la famille. On le boit par petites gorgées, en prolongeant cette veillée qui favorise les douces causeries et les épanchemens intimes dans les ménages bien unis.

Le thé augmente l’énergie digestive, en stimulant l’action de l’estomac et, pendant longtemps, c’est à ce seul titre qu’on y a eu recours en France. Il est diurétique à l’égal de toutes les boissons chaudes, et, comme elles, il excite la transpiration ; il est également un peu astringent ; ce sont là les propriétés qu’on utilise en médecine, mais qui n’ont rien à voir avec son usage économique.

Le thé ne peut pas causer d’accidens ; on le prend à trop faible dose ; cependant des expérimentateurs ont reconnu que de grandes quantités d’une infusion de thé noir accéléraient les battemens du cœur, le rythme de la respiration, et pouvaient élever la température de près d’un demi-degré. Fonssagrives a pu observer sur lui-même les symptômes d’un théisme accidentel produit par la mauvaise habitude qu’il avait prise, au moment d’un concours, de mâcher incessamment des feuilles de thé. Il éprouva, au bout de quelque temps, une sensation très pénible de vacuité cérébrale, des vertiges, de la titubation et des troubles de la vue[1]. Ce sont en effet les symptômes de ce qu’on a décrit sous le nom de théisme chronique. Il n’y a pas à s’étonner, du reste, d’observer quelques troubles chez ceux qui abusent d’une substance dont le principe actif est toxique, et c’est le cas de la théine, avec laquelle Mitscherlich a empoisonné des grenouilles, des poissons et même des chats. Les preneurs de thé peuvent se rassurer ; Payen a calculé qu’en tenant compte du poids du corps de l’homme, il ne faudrait pas moins d’un kilogramme de thé en substance pour produire chez lui des accidens toxiques. C’est donc un poison encore plus lent que le café et, si son abus cause parfois des troubles, c’est surtout par la quantité d’eau chaude qu’il force à absorber. Ce continuel lavage débilite l’estomac, affaiblit l’action du suc gastrique, en le diluant à l’excès, et amène parfois cet état de langueur digestive que Chomel avait désigné sous le nom de dyspepsie des boissons.

Nous ne dirons rien de la valeur alimentaire du thé, parce qu’il faudrait répéter ce que nous avons dit de celle du café, en tenant compte de la dose plus faible encore de principes nutritifs

  1. J.-B. Fonssagrives. Traité de matière médicale, 1885, p. 1071.