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Il en est tout autrement quand il forme la base du repas, comme cela arrive pour le déjeuner des hommes dans la marine et dans l’armée. Le café fait partie de la ration du matelot depuis 70 ans. C’est le règlement du 5 février 1823 qui l’y a introduit. La ration est aujourd’hui de 25 grammes par jour et par homme avec 25 grammes de sucre. Les bons effets qu’on en a obtenus l’ont fait adopter dans l’armée, mais la ration du soldat n’est que de 16 grammes avec 21 grammes de sucre. Dans les deux corps, il est donné sous forme de soupe. Les matelots le versent tout brûlant sur le biscuit concassé et le préfèrent de beaucoup à la panade de biscuit au beurre qu’on leur délivre quelquefois sous le nom de turlutine.

Le café qu’on leur donne est d’excellente qualité ; il a été choisi, contrôlé avec soin dans les ports, et de plus il est bien préparé. Autrefois on se bornait à le faire bouillir dans la chaudière du coq, et comme elle servait en même temps à faire la soupe, il surnageait à la surface des gouttelettes de graisse qui lui donnaient l’air d’un bouillon noir. Cet aspect avait quelque chose de répugnant ; mais aujourd’hui, le grain est torréfié et moulu comme à terre et l’infusion est faite au percolateur comme dans les casernes.

Dans ces conditions, on comprend facilement le plaisir que les hommes trouvent à le prendre, mais ce n’est pas seulement une affaire de goût. Cette boisson chaude, aromatique, prise après les fatigues du quart de nuit, les réconforte et leur rend l’énergie nécessaire pour on supporter de nouvelles. C’est en effet entre le déjeuner et le dîner qui a lieu à onze heures que se font toutes les corvées, le lavage, le fourbissage, les inspections de personnel et de matériel. La propriété dont jouit le café de prévenir la fatigue et de favoriser le travail musculaire est précieuse à ce moment et convient admirablement à la situation. Comme il se mêle à un aliment très nourrissant par lui-même, les six grammes de substances nutritives qu’il contient n’y ajoutent pas grand chose ; mais le biscuit remplit l’estomac, et modère l’action un peu agressive du café.

Les officiers qui partagent les fatigues du matelot, qui veillent comme lui, sur le pont, dans la brume et le froid de la nuit, apprécient la douce chaleur et le réconfort que procure une tasse de cette infusion ; mais ils la prennent pure ; quelques-uns vont même jusqu’à en absorber plusieurs tasses pendant le quart du matin, et ceux-là deviennent souvent gastralgiques.

Ce que nous venons de dire des marins s’applique également aux soldats. La dose de café est un peu moindre, le pain