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La question a été souvent agitée. Je ne parle pas de l’époque de Fontenelle, où l’expérimentation était chose inconnue ; mais dans des temps plus rapprochés de nous, le café a trouvé des calomniateurs même parmi les illustrations de la médecine. Le plus ardent sans contredit fut Hahnemann, le père de l’homéopathie. Il accusait le café d’avoir perverti le caractère allemand, de lui avoir enlevé ses qualités solides pour le remplacer par la légèreté, la vacillation dans les idées et l’indiscrétion qui conduit aux épanchemens de cœur imprudens. « Les gens sérieux, dit-il, doivent fuir cette boisson malfaisante et la laisser aux baladins. Le danseur de ballet, l’improvisateur, le jongleur, le bateleur, le banquier au jeu de pharaon, ainsi que le virtuose musicien moderne, avec sa vitesse extravagante, et le médecin à la mode partout présent qui veut faire quatre-vingt-dix visites de malades en une seule matinée, tout ce monde-là a nécessairement besoin de café. » Trousseau, à qui nous empruntons cette citation, fait observer, à ce sujet, qu’Hahnemann, en sa qualité de chef de secte, avait plus que la vérité à dire, qu’il avait à faire triompher un système. Ses partisans n’ont pas adopté cette partie de sa doctrine, et chacun sait qu’ils ne font pas la guerre au café.

Des observateurs plus modernes ont décrit un caféisme chronique caractérisé par l’inappétence, la gastralgie, le tremblement de la langue, l’insomnie habituelle, les troubles de la vue, la fréquence et la petitesse du pouls, la polyurie et la frigidité. Ce tableau est un peu chargé d’une part, et de l’autre il n’est pas certain qu’on n’ait pas mis sur le compte du café des phénomènes dus à d’autres causes. Il en est une dont il faut d’abord faire la part, c’est l’influence du tabac. Parmi les gens qui abusent du café, il en est un grand nombre qui fument en même temps ; la plupart des phénomènes énumérés plus haut appartiennent en propre au nicotinisme et s’observent à des degrés divers chez tous les grands fumeurs.

Le second élément qui se surajoute très souvent aux effets du café, c’est le surmenage intellectuel. Quelque agréable que soit cette boisson, on n’en prend pas coup sur coup plusieurs tasses par pur sybaritisme ; on y a recours pour combattre le sommeil, l’inattention, la fatigue, qui assiègent l’homme studieux, alors qu’il veut dépasser la mesure de ses forces. Le labeur de la pensée fatigue davantage et use plus vite que celui des bras ; il demande plus de réparation alimentaire, il exige de plus longs repos que le travail musculaire.

L’homme de cabinet dépense plus que l’homme de peine. Le café dont il fait usage lui permet de prolonger son œuvre, de reculer la limite de la fatigue, mais aux dépens de sa constitution et