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Jugement, et le Temps, Mammon, Caïn, le Châtiment de Paolo et Francesca, l’Ange de la Mort, la Conscience, Sic transit, l’Esprit du Christianisme, tels sont les sujets que ce vieillard de soixante-seize ans a traités toute sa vie. Un assez grand nombre de portraits aussi, parce que le portrait est « la fenêtre de l’âme », mais pas de scène de genre, ni de paysage, parce que le paysage ne prouve rien. D’ailleurs, il ne cherche à prouver que des dogmes très universels et dont toutes les confessions peuvent s’accommoder. Si le Parlement des religions, — qui s’est tenu naguère à Chicago sous la présidence d’un cardinal assisté d’un brahmane et d’un schismatique, avait voulu, pour décorer sa salle des séances, quelques peintures religieuses, c’est à Watts qu’il les aurait demandées. Et sans aucun doute le maître eût accepté cette mission, car il estime qu’il n’y en a pas d’autre honorable pour un artiste et que « l’art, en abandonnant ce but élevé, en n’étant plus employé au service de l’Etat ou de la Religion, court risque de perdre son grand caractère d’enseignement intellectuel ». Pour lui donc, il ne néglige rien de ce qui peut aider son apostolat par le pinceau. Si la foule ne vient pas à lui, il va à la foule, avec une liberté d’allures que n’auraient pas nos artistes français. Mais il n’y va que pour l’élever jusqu’à lui. Nous autres, nous cherchons à aller au cœur de la foule en sacrifiant trop souvent de la dignité esthétique ; lui, il ne cherche qu’à aller devant ses yeux, sans rien concéder à ses goûts ou à ses caprices. Nous mettrions volontiers des scènes de genre dans les églises ; lui, il voudrait mettre des scènes de la Bible dans les gares de chemins de fer. Un des grands chagrins de sa vie a été de ne pouvoir peindre l’Histoire du Cosmos dans la station d’Euston. Repoussé par les directeurs de la compagnie, il s’est tourné vers les magistrats et a obtenu de couvrir de fresques un large mur de la nouvelle salle de Lincoln’s Inn, vers les prêtres et il a décoré l’église de Saint-Jacques le Mineur. Enfin, sa demeure de Little Holland House, dans le West Kensington, à Londres, pleine de grandes œuvres mythiques, est ouverte à tout venant, le dimanche, et après sa mort, ces œuvres seront léguées à la nation. Comme elles s’adressent à l’humanité tout entière, chaque peuple en aura sa part, et déjà l’une d’elles est promise à l’Amérique. Répandre à l’est et à l’ouest le grain des austères résolutions et des viriles pensées, c’est assez pour Watts. La gloire lui est indifférente, le bruit lui est importun. Les opinions passent devant sa porte, sans qu’il leur accorde un asile. Il a refusé le titre de baronnet ; il consent avec peine à ce qu’on écrive sa biographie. Il ne croit même pas avoir fait de la bonne peinture ; il croit avoir fait mieux que cela : son devoir. « Pour produire de