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médiocrité. Ils n’épargnaient pas les quolibets aux vins picards et au « tord-boyau » du Cotentin. Les habitans de l’Ouest recherchaient les crus des environs de Paris, qui sans doute étaient plus buvables, et les Parisiens aisés faisaient venir leur vin de la Bourgogne.

Quoiqu’il fût de règle, en chaque territoire, de défendre dans l’intérêt des producteurs d’importer du vin étranger, et que, d’autre part, l’intérêt des consommateurs ait fait prohiber aussi l’exportation des vins du cru, ce n’étaient pas tant les entraves du législateur que les difficultés du transport qui empêchaient autrefois le vin de circuler. Les voies fluviales n’étaient utilisables que dans le sens de la descente. Aux routes de terre il ne fallait pas penser. Ceux-là seuls commerçaient volontiers ensemble qu’un voisinage maritime mettait en communication. C’est pourquoi, au XVIIe siècle encore, les vins de Bordeaux allaient en Angleterre, et les vins de Languedoc allaient en Italie.

Le privilège de la position primait donc la qualité du vignoble. L’effort des propriétaires a dû se porter de préférence sur les terroirs faciles à exploiter. Beaucoup de clos excellens n’ont été plantés que fort tard et, s’ils n’ont pas été appréciés dans des siècles reculés, c’est tout simplement qu’ils n’existaient pas. Si l’on faisait une histoire de la viticulture française, — ce qui demanderait un volume et ne rentre d’ailleurs que très indirectement dans le sujet que je prétends traiter ici, — on verrait par combien de péripéties et d’écoles a passé le propriétaire ou le colon avant de fixer son choix sur le sol le plus avantageux. Avec des vignes presque également réparties jadis sur la totalité du territoire, l’élévation des prix compensant dans le Nord la faiblesse de la production, les vins « d’en deçà la Loire », dont l’hectolitre valut en moyenne 60 francs de notre monnaie, se trouvaient aussi rémunérateurs que ceux du Midi, dont l’extrême abondance était souvent une cause de ruine pour leurs possesseurs.

En Alsace, où la récolte commune n’était que de 8 à 10 hectolitres à l’hectare, sur les bords du Rhin, où la vigne poussait dans des anfractuosités de rochers — en des espèces de consoles posées au-dessus de la tête du passant, ainsi que les pots de fleurs d’une mansarde — on n’était pas exposé, comme en Provence, à cesser de vendanger dans les grandes années, faute de vases disponibles, et à laisser perdre les raisins à la branche. On n’avait pas à souffrir de ce bon marché désastreux qui « incommodait fort », en 1600, les vignerons des Charentes et faisait dire sentencieusement au pasteur de La Rochelle que « Dieu veut par là montrer que le contentement de l’homme ne gît pas en l’abondance ! » A la veille de la Révolution, l’intendant du Languedoc considérait