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politiciens de village, à toutes ces petites scènes de genre, d’intérieur et de cuisine, qu’ils traitent moins bien que les Hollandais, et l’on passe… Rien ne fait prévoir qu’il va sortir de tout cela quelque chose de neuf et de grand. Par momens, un éclair d’étrangeté illumine cette vie raisonnable et prosaïque. Un petit tableau de Blake nous montre le premier ministre Pitt sous la forme d’un ange, en robe vert et or, conduisant à travers les nuées le parlement anglais, sous les apparences d’un monstre décrit dans le livre de Job. Puis tout s’assoupit de nouveau : petites gens, petites histoires, petite peinture. Une couleur glabre, lustrée, plaquée sur du bitume, fausse sans vigueur, confite sans finesse, trop noire dans les ombres, trop brillante dans les clairs. Un dessin mou, hésitant, vaguement généralisateur. Et l’on songe, en approchant de la redoutable date 1850, au mot prononcé par Constable en 1821 : « Dans trente ans, l’art anglais aura vécu. »

Et cependant, si l’on regarde bien, deux caractéristiques sont là, sommeillantes, qui à l’appel d’un prince de l’art se lèveront et enchanteront les imaginations contemporaines. D’abord, l’intellectualité du sujet. De tout temps, les Anglais se préoccupent de choisir des scènes intéressantes, voire un peu compliquées, où l’esprit ait autant à saisir que les yeux, où la curiosité soit piquée, la mémoire mise en jeu, le rire ou les larmes provoqués par une histoire muette. Quand vous êtes au musée de Kensington, dans les salles de la collection Sheepshanks, vous saisissez au vif ce goût britannique. Vous rencontrez, côte à côte, se touchant, une scène du Bourgeois gentilhomme, une scène du Malade imaginaire, une scène des Femmes savantes, trois de Don Quichotte, une des Joyeuses commères de Windsor, de Mon oncle Tobie, de la Mégère apprivoisée, de l’Homme au bon naturel, puis le Refus tiré de Duncan Grey, puis Portia et Bassanio, en un mot le théâtre et le roman de tous les pays. Ces toiles sont signées : Wilkie, Callcott, Redgrave, Frith, Leslie. C’est l’art de la première moitié du siècle. Déjà s’affirme cette idée, d’ailleurs bien lisible chez Hogarth, que le pinceau est fait pour écrire, pour raconter, pour instruire, non simplement pour éblouir. Seulement, ce qu’il raconte avant 1850, ce sont des actions mesquines ; ce qu’il exprime, ce sont de petits travers, des ridicules ou des sentimens bornés ; ce qu’il enseigne, ce sont des articles du code de civilité. Il joue le rôle de ces cahiers d’images qu’on donne aux enfans pour leur montrer où conduisent la paresse, le mensonge ou la gourmandise. — L’autre qualité est l’intensité de l’expression. Quiconque a vu des chiens de Landseer, ou tout simplement, dans les journaux illustrés anglais, quelqu’une de ces études d’animaux où l’habitus corporis est serré de si près, l’expression si