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a illustrée quelques années plus tard et dont il avait déjà le sentiment dans sa jeunesse, à l’origine de la Révolution.

L’alliance de l’école physiocratique et de l’école économique moderne est bien représentée par la rencontre du vieux collaborateur de Turgot, un des dominateurs du Comité des contributions de l’Assemblée nationale, et du jeune homme qui devait rendre française, en la précisant, la coordonnant et la perfectionnant par des corrections nécessaires, l’économie politique d’Adam Smith.

Dupont de Nemours et J.-B. Say se sont beaucoup connus ; ils ont beaucoup discuté entre eux toutes les questions économiques. Le physiocrate disait au jeune J.-B. Say que, « par la branche de Smith, il le considérait comme un petit-fils de Quesnay et un neveu de Turgot. » Il « l’invitait avec tendresse » à continuer ses travaux « dans la belle carrière où il employait son esprit d’observation et son talent distingué » ; il lui rappelait que l’économie politique des physiocrates « lui avait donné le plus de lait et le meilleur » et qu’il ne devait pas « battre sa nourrice » quand il cherchait à faire faire de nouveaux progrès à la science. « Vous avez le talent, lui disait-il, vous n’êtes qu’à moitié de votre carrière, j’ai fait les sept huitièmes de la mienne. » Et J.-B. Say, tout en réfutant avec une extrême vivacité la doctrine des physiocrates sur la stérilité de tout ce qui n’était pas la Terre, prodiguait au vieillard les témoignages d’un respect qu’il devait « à quatre-vingts ans employés à vouloir et à faire le bien. »

Le vieillard et le jeune homme se sont embrassés, et dans cet embrassement ils ont fondu leurs doctrines de haute philosophie économique dans l’économie politique moderne, seule barrière que les amis du progrès puissent opposer aujourd’hui aux idées rétrogrades du socialisme philosophique ou révolutionnaire.

À cette idée fondamentale, que l’impôt doit avoir pour objet de procurer à l’Etat les ressources nécessaires pour couvrir les frais des dépenses communes, le socialisme oppose une idée absolument inverse : celle que l’impôt a pour premier objet d’opérer entre les citoyens une plus juste distribution de la fortune ; et les philanthropes corrigent ce prétendu axiome en ajoutant que l’impôt ne doit avoir d’autre but que de moraliser le peuple.

La conception économique et libérale fait de l’impôt une contribution volontaire servant de dotation aux dépenses à faire en commun, en les réduisant dans l’intérêt de tous au chiffre le plus bas.

La conception socialiste considère l’impôt comme devant être l’instrument de la justice sociale, et la justice sociale