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atmosphère propre. La chronologie littéraire est leur point de départ invariable.

Fidèles à un principe qui, semble-t-il, s’impose a priori, — mais dont j’ai déjà ailleurs dénoncé, dans son application à l’Inde, les périls et la fragilité — la plupart ont admis de fait, comme une certitude évidente, que la suite des monumens littéraires devait correspondre à l’évolution historique et en refléter exactement les phases. Les Brâhmanas, qui, dans l’ordre des temps, se lient de plus près aux Hymnes, ne pourraient rien contenir qui ne fût le prolongement ou le développement normal des données qui y sont contenues. D’où ce dilemme : ou bien l’existence des castes est attestée dans le Véda, ou, au cas contraire, elles se sont nécessairement établies dans la période qui sépare la composition des hymnes, auxquels elles seraient inconnues, de la composition des brâhmanas qui en supposent l’existence ; à quoi s’ajoute ce corollaire, toujours tacite, mais toujours agissant, que c’est au moyen des élémens expressément fournis par les Hymnes que s’en devraient justifier les origines. Personne, que je sache, ou presque personne, ne s’est affranchi de ce postulat. On s’est cru tenu à considérer comme le point de départ certain les divisions qui, de l’aveu de tous, se révèlent dans le Véda, castes complètes et avérées suivant les uns, classes sociales suivant les autres ; les premiers, d’autant plus passionnés à retrouver les castes dans les Hymnes, qu’ils sentaient justement combien il est difficile de leur attribuer, suivant le mode ordinaire, une origine trop récente ; les seconds, concluant du silence des Hymnes que l’époque où ils remontent n’en aurait rien su, que le mouvement n’a donc pu se prononcer que plus tard ; les uns et les autres s’accordant pour considérer comme primitif, indissoluble, le lien qui rattache les quatre varnas du système à la naissance même de l’institution des castes.

Sous cette impression, on croit volontiers avoir assez fait quand, de considérations générales étayées d’analogies approximatives, on a déduit une explication plausible. Des prétentions et des intérêts de la classe sacerdotale, grâce à une alliance qui s’est vue ailleurs avec le pouvoir séculier, on fait sortir, par de savans calculs persévéramment poursuivis, cet état de fractionnement, maintenu par des règles sévères, qu’on n’envisage qu’à travers le prisme des livres de lois. De ces constructions, les lignes sont communément un peu molles ; elles peuvent séduire par leur régularité, par l’appel commode qu’elles font à des notions courantes. On n’est pas impunément si clair. Maîtres de l’analyse qui tire tout le vocabulaire indo-européen de quelques