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Le contentement fut moins vif en Allemagne, où les coloniaux chauvins se plaignirent de voir Yola et un territoire compris à l’est dans un certain rayon à l’en tour de cette ville reconnus définitivement comme appartenant à la sphère d’influence anglaise. Pour notre part, nous sommes d’avis que, malgré les plaintes des coloniaux allemands, malgré la satisfaction feinte ou réelle de la presse anglaise, la convention du 14 août 1898 a fait la part la plus belle à l’Allemagne. Sans doute elle n’obtenait pas Yola, qui d’ailleurs avait été cédée par elle à l’Angleterre à la suite de l’arrangement de 1886, mais elle acquérait une position dominante sur la Haute-Bénoué et le confluent de la rivière Faro avec l’importante place de commerce de Karoua. Elle a la rive sud du lac Tchad à l’occident du 14° de longitude avec l’embouchure du Chari ; surtout, l’Angleterre se dépouillait à son profit de toutes prétentions au-delà du 14° est, et l’immense territoire du Soudan occidental jusqu’aux limites du bassin du Nil rentrait dans la sphère d’influence des intérêts allemands. A elle le Baghirmi, le Kanem, le Wadaï, la rive orientale du Tchad et le prolongement indéfini de cet empire vers le nord. En échange de cette cession générale du centre africain, l’Angleterre ne gagnait qu’un bien faible territoire autour d’Yola. Elle s’interdisait les longs espoirs et le grandiose avenir. Le projet des coloniaux anglais de réunir le Soudan central au Soudan égyptien devenait mort-né. Les motifs de cet abandon général de ses rêves et de ses conceptions n’ont point été indiqués. Peut-être l’Angleterre a-t-elle jugé que le Soudan central, qui ne comprend pas moins de 600 000 kilomètres carrés avec une population de trente millions d’âmes, devait lui suffire ; que la réalisation du projet d’union du Soudan central et du Soudan égyptien constituerait une opération par trop onéreuse et lui occasionnerait des soucis par trop absorbans ; que, dans ces conditions, le mieux était de passer la main.

Quoi qu’il en soit, le traité du 15 novembre 1893 sanctionnait le partage de l’Afrique centrale entre l’Allemagne et l’Angleterre. A la première il donnait le bassin du Chari ; à la seconde il réservait le bassin du Nil. Si la répartition de ces immenses territoires eût été une question à débattre exclusivement entre les deux puissances contractantes, tout eût été pour le mieux et aucun État n’eût été autorisé à formuler des observations. Mais il n’en était pas ainsi. La France, qui avait été tenue à l’écart des négociations anglo-allemandes, était, des puissances européennes qui avaient des intérêts dans l’Afrique centrale, celle [qui s’était créé le plus de droits à la possession d’une bonne partie de cette région, et notamment du bassin du Chari. En donnant l’étendue de ce bassin aux