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leur grande situation dans la société, ils doivent être remplacés, et le sont déjà, les prêtres par les savans, les féodaux par les industriels. Le premier qui ait remarqué qu’en fait la science remplace ou va remplacer la religion, et que la grande industrie est une espèce de féodalité, me paraît être Saint-Simon. Donc, et cela en suivant l’indication même des faits, donnons le « pouvoir spirituel » à tous les savans de l’Europe, et le « pouvoir temporel » aux industriels. — Inutile d’ajouter que Saint-Simon ne définit point ce qu’il entend par l’un et par l’autre de ces deux pouvoirs, et ne trace pas la ligne de démarcation où l’un doit commencer et l’autre Unir.

En 1824, dans le Catéchisme politique des Industriels, c’est aux industriels que revient le gouvernail. « La tendance générale étant d’être gouverné au meilleur marché possible, d’être gouverné le moins possible, d’être gouverné par les hommes les plus capables, » les industriels les plus importans doivent être mis à la tête de l’Etat ; car « ils sont les plus intéressés au maintien de la tranquillité, à l’économie publique, à la limitation de l’arbitraire, et enfin ils sont préjugés les administrateurs les plus capables. » Ce qu’il faut faire cesser, c’est cet état présent d’une nation qui est essentiellement industrielle et qui est menée par une noblesse. Oui, par une noblesse, fausse il est vrai, une noblesse de parvenus, une « satrapie de roture », comme disait le marquis d’Argenson. La bourgeoisie s’est faite noblesse. « Les bourgeois sont des nobles au petit pied. » Une nation de travailleurs gouvernée par l’oisiveté, voilà ce qui est, et ne doit pas être.

Et enfin, en 1824 encore, dans les Opinions littéraires, le système s’étend. Au sommet de l’Etat, le roi. Au-dessous de lui un pouvoir spirituel composé de deux académies séparées, à savoir celle des Sciences et celle des Beaux-Arts. Celle des Sciences sera composée des savans, ou plutôt des scientifiques proprement dits : mathématiciens, physiciens, statisticiens, etc. Celle des Beaux-Arts comprendra littérateurs, poètes, peintres, sculpteurs, musiciens, théologiens et moralistes. L’Académie des sciences fera un « code des intérêts » ; celle des Beaux-Arts perfectionnera nos facultés d’imagination et de sentiment, et fera un « code des sentimens. » — Ces deux académies en nommeront une troisième, collège scientifique suprême, qui fera la combinaison et la synthèse de leurs découvertes. — A côté de ce pouvoir spirituel un pouvoir temporel, une assemblée de banquiers, fabricans, négocians, agriculteurs. — A côté encore de ces deux pouvoirs, ou au-dessous, les chambres politiques proprement dites, le parlement. — Quant au fonctionnement de tous ces rouages, il sera celui-ci : le pouvoir spirituel aura l’initiative. Il inventera des projets. Ces projets