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pour laquelle il faut bien reconnaître, avec certains des meilleurs admirateurs de Wagner, que la bonne volonté a souvent été plus grande que le discernement. D’autres enfin, appelés par la nature de leur talent ou leur éducation à des travaux tout différens, servirent de plus loin et de plus haut la cause wagnérienne, mais sans cesser pour cela de se croire moins attachés à cette sorte de famille qui avait pour centre de ralliement « l’idée de Bayreuth », et où, si chacun marchait de son côté, tous se reconnaissaient cependant un but commun : cheminer vers ce « monde nouveau » où Wagner tendait lui aussi.

Or, depuis une vingtaine d’années, c’est à ce groupe bayreuthien que nous devons à peu près toute la littérature wagnérienne ayant quelque valeur ; et, puisqu’il a lui-même nettement pris conscience de la façon nouvelle et plus étendue dont il faut comprendre le devoir d’une littérature wagnérienne, il importait, semble-t-il, de bien le séparer du premier groupe, pour lequel il ne s’agissait guère que de défendre et de soutenir un musicien et les œuvres de ce musicien.


II

Parmi les écrivains de la première période, la personnalité qui domine toutes les autres est celle de Franz Liszt. Et pour justifier cette assertion, je ne m’appuie nullement sur la renommée universelle que s’est acquise le musicien que fut Liszt, lui aussi. Mais on sait le rôle capital qu’il a joué dans la vie de Wagner : son admiration et son amitié pour le réformateur encore incompris et l’artiste méconnu ; son action personnelle incessante pour répandre les œuvres du jeune maître. Tous ces faits ont été suffisamment mis en lumière par les biographes de Wagner et de Liszt : je n’y insisterai donc pas. Je passerai même sur tout ce qu’on peut trouver de propre à servir les idées wagnériennes dans les différens écrits de Liszt ayant trait à d’autres sujets que Wagner, et je m’en tiendrai simplement aux trois grandes études consacrées par lui à Tannhæuser, à Lohengrin, au Hollandais volant, en y joignant l’article plus court par lequel il annonçait au public en 1855 l’achèvement par Wagner de l’Or du Rhin. Les deux études sur Tannhæuser et sur Lohengrin datent de 1849 et 1850 ; et dès 1851 elles étaient réunies en un volume qui paraissait en langue française chez un éditeur allemand. Mais elles furent aussitôt traduites, sous la direction de Wagner lui-même, qui avait été le premier à comprendre toute l’importance qu’il y avait pour lui à la diffusion de cette œuvre ; et qui sentait bien que c’était en Allemagne qu’il fallait