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Malgré cette modération apparente, les heures d’intimité de Léonora avec la reine n’en étaient pas moins fructueuses. Quelques mois après la mort du roi, en septembre 1610, Concini reçut, en une seule journée, trois cent trente mille livres pour acheter le marquisat d’Ancre, on Picardie, soixante mille écus pour la charge de premier gentilhomme de la chambre qu’avait M. de Bouillon, et environ deux cent mille francs pour le gouvernement de Péronne, Montdidier et Roye qu’avait M. de Créquy. Et ce ne fut qu’un commencement. Les deux époux obtinrent l’un et l’autre des dons sans cesse renouvelés, en or, en bijoux, en meubles, en argent comptant. Leur fortune personnelle monta, en quelques années, à une somme de près de neuf millions de livres, c’est-à-dire, en multipliant seulement par cinq — d’après les calculs de M. d’Avenel, on pourrait multiplier par six, — environ cinquante-quatre millions de notre monnaie. Comment s’expliquer cette faveur qui alla toujours croissant jusqu’à la catastrophe finale ?

Il est superflu de rappeler que la malignité des pamphlets contemporains et la crédulité toujours un peu prompte de l’histoire anecdotique se sont exercées aux dépens des relations si intimes qui existaient entre Marie de Médicis et Concini. En ces matières, l’affirmation est prompte, la vérification difficile. Le papier des billets doux est le plus rare et le plus fragile des documens d’archives.

Nous connaissons Marie de Médicis par des portraits nombreux, par les confidences de ses intimes, par les critiques de ses adversaires.

Cette épaisse femme blonde, avec ses maxillaires carrés, sa figure empâtée, ses lèvres boudeuses, ses yeux inexpressifs, ne paraît pas avoir été d’un sang bien riche, ni bien ardent. Henri IV se plaignait « qu’elle n’était pas caressante ». Son fils, Louis XIII, tenait encore d’elle sur ce point. Un contemporain nous a dépeint tout à l’heure cette beauté traînante et lourde abandonnée en des poses nonchalantes que l’amour lui-même ne devait remuer que difficilement. A première vue, on peut donc penser que, si cette femme a cédé, ce n’a dû être que par une sorte de passivité que l’accoutumance a surprise. On sait qu’au début, Concini ne lui plaisait pas. Elle s’effrayait même pour sa chère Léonora, d’une maladie qui était, chez lui, disait-on, la suite de ses folies de jeunesse, et qui causait, ajoutait-on encore, l’étonnante pâleur de son visage. Mais il est certain que ses sentimens changèrent et que le Florentin finit par prendre sur elle un réel empire. La jalousie de Henri IV en témoignerait au besoin. Concini logeait au Louvre près des appartemens de la reine, en raison de la charge de sa femme.