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discrète, grave et assez habile dans les petites choses, attachée, sans réflexion et sans fidélité, à ses habitudes et à ses préjugés. Comme il arrive aux natures médiocres que l’urgente nécessité ne presse pas, elle dirigea peu sa vie et conduisit les affaires du pays autant au moins, avec ses défauts qu’avec ses qualités. Au début elle ne se sépara pas des hommes expérimentés choisis par le feu roi. Mais, peu à peu, elle versa dans le favoritisme où son indolence était portée naturellement, et laissa prendre aux Concini une autorité dont l’excès prépara sa chute.

Il faut parler maintenant des Concini. Tous les biographes de Marie de Médicis les lient intimement à son sort. Cette subordination constante de sa vie à l’influence de ses familiers est un trait de caractère d’autant plus frappant chez la mère qu’il se retrouve, plus tard, chez le fils, Louis XIII. Elle avait connu de toute date Léonora Dori (qui se fit appeler ensuite Galigaï) et la mort seule la délivra de la domination que cette femme exerçait sur elle. Léonora était fille de sa nourrice, par conséquent d’origine populaire, la mère étant, disait-on, blanchisseuse et le père menuisier. Elevée près de la princesse, elle lui était devenue indispensable, parce qu’elle l’habillait bien et qu’elle savait remplir les heures interminables de la vie de cour par des conversations de toilettes et de futilités. C’était, d’ailleurs, une fine mouche, le nez aigu, les lèvres pincées, la figure chafouine, noire et plutôt laide, mais l’œil vif, et non sans un certain charme qui venait de l’intelligence, sinon du cœur. Adroite et insinuante, elle devint, sur la fin, imaginative, maniaque et atrabilaire, avec un goût mêlé d’effroi pour les choses de l’autre monde, sorcelleries, influences secrètes et grimoires. Tout cela lui assurait, sur l’esprit de la princesse, un ascendant tel que les contemporains y voyaient quelque chose de mystérieux.

Au moment du mariage de Marie de Médicis, on avait voulu les séparer. Mais Marie, vieille fille — elle avait vingt-sept ans — et déjà esclave de ses habitudes, s’y était refusée ; et le duc de Toscane, sachant sa nièce obstinée, n’avait pas insisté. Léonora vint donc en France et, à vrai dire, elle représenta, pour la cour et pour la reine, tout ce qui rattachait celle-ci à son passé florentin. Un conflit assez curieux où le nom des Richelieu est mêlé se produisit même à ce moment. Henri IV, en formant la maison de la reine, avait désigné, pour remplir les fonctions de surintendante, Mme de Guise, pour remplir celles de dame d’honneur, Mme de Guercheville et enfin, pour être dame d’atours, Mme de Richelieu, femme du frère aîné de l’évêque de Luçon. Mais Marie exigea que cette dernière fonction fût réservée à Léonora, et après