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escarmouches sur les flancs, soit par une charge à fond. M. Dupuy a du courage, il l’a montré à plus d’une reprise ; il en aura besoin pour repousser les assauts qui l’attendent et mener à bonne fin son entreprise. Il a choisi ses principaux collaborateurs dans la jeunesse de la Chambre, et plusieurs d’entre eux n’ont guère plus de 30 à 35 ans : il a sans doute voulu par ce moyen prendre une sorte d’hypothèque sur l’avenir et se créer une clientèle pour longtemps. C’est toute une promotion de nouveaux ministres qui entre sur la scène politique, avec la confiance d’y faire bonne figure. La plupart des jeunes collaborateurs de M. Dupuy ont pour eux le talent, l’instruction et le caractère : nous souhaitons qu’on leur donne le temps d’acquérir l’expérience. Quant à M. Dupuy, on n’a pas oublié qu’il a le premier, dès l’ouverture de la Chambre actuelle, apporté à la tribune le programme d’une politique modérée. Il s’est attiré par là, de la part des radicaux, des rancunes que les derniers incidens n’ont sans doute pas atténuées, et par contre-coup la confiance des modérés. Ce sont eux qui, après sa chute, l’ont élevé au fauteuil de la présidence, et tout porte à croire qu’à la tête du gouvernement, c’est encore en eux qu’il trouvera son plus solide appui.


Avant même qu’il fût constitué, on assignait au nouveau cabinet une tâche qui ne sera pas facile à remplir. Si nos ministères tombent souvent mal à propos pour nos affaires intérieures, ils le font toujours pour nos intérêts au dehors. Demander à un gouvernement qui dure six mois, et auquel on ne laisse pas une minute de réflexion et de liberté, de lutter à armes égales avec les gouvernemens étrangers, c’est exiger l’impossible. Les autres gouvernemens ont une diplomatie stable, permanente, qui procède toujours dans le même esprit et dans le même sens, et dont rien ne dérange le développement calme et patient, parce qu’ils sentent que le temps est à eux. Nous n’en sommes pas là, il s’en faut même de beaucoup : aussi marchons-nous de déceptions en déceptions tandis que les autres vont de succès en succès. Tout le monde, chez nous, en a éprouvé le triste pressentiment lorsqu’on a appris, le jour même où M. Casimir-Perier tombait du pouvoir, que l’Angleterre et l’État indépendant du Congo venaient de conclure une convention africaine, et surtout lorsque, le lendemain, on en a connu les termes. Cette convention constitue pour nous un échec incontestable, échec que nous aurions probablement pu éviter. Depuis deux ans, nous étions en négociation avec l’État indépendant du Congo, et nous avions tout intérêt à nous entendre avec lui, même au prix de quelques sacrifices. On doit dès maintenant regarder l’État du Congo comme une colonie belge : il est donc notre voisin en Afrique et en Europe, double raison pour nous de vivre en bonne intelligence avec lui. Bien qu’il couvre en Afrique des territoires