Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/693

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sereine : je crois que c’est bien le tempérament historique de notre peuple, étudié dans sa masse et sur de longues périodes de temps. Aujourd’hui, ce bon sens du pays ne comprend plus ; il ne conçoit pas un gouvernement qui paie les propagateurs d’une doctrine déclarée officiellement fausse et dangereuse : il n’admet pas l’absurdité choquante d’un clergé rente, dirigé, recruté par des chefs civils qui en désirent, qui en prédisent l’extinction prochaine. Il n’y a ni raison ni dignité à porter d’aussi mauvaise grâce un fardeau qu’on juge inutile.

Dans ces conditions, le Concordat apparaît comme un lien gênant qui n’a plus d’avantages compensateurs ; l’idée de la séparation fait rapidement son chemin. Réclamée d’abord par les adversaires de l’Eglise, elle n’a pas tardé à séduire ce qu’il y a de plus vivant et de plus ferme dans le monde religieux ; les plus ardens à l’embrasser sont aujourd’hui ces jeunes prêtres qui mangent avec amertume le pain qu’on leur jette avec mépris. Le gros des indifférens s’habitue à envisager une solution qui terminerait des querelles dont le public est excédé. Elle ne terminerait rien, c’est une vue courte, la vue de gens fort mal renseignés sur la puissance du sentiment religieux ; mais on comprend qu’elle fasse fortune parmi les esprits superficiels. L’heure de la séparation aurait déjà sonné, si l’on n’était retenu des deux côtés par la juste appréhension du lendemain. Les catholiques n’ignorent point qu’ils rachèteraient leur liberté au prix d’une persécution ouverte ; car on ne leur accorderait pas le droit d’association avec une latitude suffisante pour qu’ils pussent s’organiser. Leurs ennemis, tout en demandant bien haut l’abrogation du Concordat, s’épouvantent en secret d’une expérience qui déchaînerait le plus redoutable principe d’action, et qui tournerait peut-être à la confusion des vainqueurs du jour. Ils préfèrent garder l’Eglise sous la main de l’Etat, avec l’espoir de l’étrangler par une pression continue, progressive. Cette attitude d’observation réciproque peut retarder longtemps le choc, surtout si l’on tient compte de la force d’inertie dans les masses, de la difficulté qu’il y aurait à familiariser les populations de nos campagnes avec une conception si nouvelle pour le contribuable français.

Ne nous fions pas trop, néanmoins, à la force d’inertie qui retient en bas le vol des idées. D’autres forces travaillent en sens inverse pour leur donner des ailes. Le caractère agressif qu’a pris la police du culte sous la troisième république n’est pas la seule cause qui prépare une séparation de l’Eglise et de l’Etat. Autant que l’on peut assigner une direction d’ensemble au mouvement général des faits contemporains, ils conspirent en faveur