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controverses perpétuelles avec lui roulaient uniquement sur ses prétentions temporelles. Jusqu’à une époque récente, les gouvernemens les plus tracassiers avaient respecté le principe de l’Église ; ils avaient concentré leur action contre les gens d’Église, et quelquefois beaucoup plus durement que ne le fait la troisième République. Sous l’ancienne monarchie, sous Napoléon, sous les divers régimes dont nous avons tâté depuis cent ans, l’État faisait la police d’un culte qu’il reconnaissait ; tantôt favorable à ce culte, tantôt défiant et réservé, il ne l’ignorait pas systématiquement. Bref, sa politique invariable sous des attitudes différentes revenait toujours à ces deux termes : limiter le pouvoir de l’Église et l’utiliser au profit de l’État.

Sous la troisième République, on n’a retenu que la première de ces deux règles ; on a dédaigné d’appliquer la seconde. Bien plus ; à la lutte traditionnelle contre les gens d’Eglise, on a substitué pour la première fois une guerre au principe même de l’Église. Les dénégations de polémistes peu sincères ou peu clairvoyans ne sauraient donner le change à l’historien qui groupe une longue série de faits. Il est évident pour tout observateur impartial qu’un parti dominant a entrepris depuis quinze ans une campagne directe contre l’idée religieuse ; il a visé l’existence même du culte, plus encore que les extensions abusives ou les serviteurs trop zélés de ce culte. A plusieurs reprises, ce parti a détenu le pouvoir, il a eu toute liberté d’y appliquer ses doctrines et de transformer l’ancien régulateur des Églises en instrument de destruction. Alors même qu’il n’était pas tout le gouvernement, il actionnait le gouvernement avec assez de vigueur pour lui donner une physionomie hostile, tout au moins étrangère et méprisante. Depuis que ce grand changement s’est opéré dans la politique religieuse de l’État, la vie commune avec l’Eglise, tolérable quoique difficile sous les régimes antérieurs, est devenue une offense à la raison publique ; et l’on s’est demandé de toute part, si le Concordat pouvait encore enchaîner côte à côte deux adversaires déclarés. Le bon sens de ce pays comprenait à merveille un gouvernement ami de la religion et sévère pour les religieux trop remuans ; soucieux à la fois de protéger l’Eglise et de se défendre contre les empiétemens ecclésiastiques. Il y trouvait son compte, ce vieil esprit de fronde contre les clercs qui s’exerçait déjà sur les portails des cathédrales gothiques, avant d’éclater dans notre littérature, de s’envenimer aux abus de l’ancien régime, de fusionner enfin avec l’esprit de la Révolution ; il prenait volontiers parti contre l’Église pour des gouvernemens faits à notre image, frondeurs et non mécréans. Je ne dis pas que ce soient là des dispositions d’une sagesse très