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passeports. Chacun se disait en outre qu’avec un peu d’astuce, il eût été facile au nonce de mettre Portalis dans un cruel embarras. Que n’avait-il téléphoné son opinion à ses confrères de l’épiscopat français ? Aucun article ne lui défend de converser avec eux, fût-ce par l’intermédiaire d’un fil aérien. Et s’il s’était fait interviewer par un reporter ? On nous a cité une remontrance adressée en 1870 à la nonciature, au sujet d’une communication insérée dans un journal ; mais personne, pas même un nonce, ne pourrait être repris pour avoir laissé tomber une pensée devant un auditeur indiscret, qui la rapporte dans une salle de rédaction.

On pousserait indéfiniment ces démonstrations par l’absurde. Si l’esprit qui inspira les articles organiques n’est pas mort, les précautions minutieuses accumulées dans ces articles sont caduques ; ils ne s’adaptent plus à notre société transformée par le progrès des sciences et le changement des mœurs. En 1802, un commissaire de police pouvait intercepter à la malle-poste d’Italie les expéditions du Saint-Siège, « bulle, bref, rescrit, décret, mandat, provision ; » si l’un de ces documens se glissait jusqu’à Paris, c’était chose aisée d’en interdire la publication dans les quatre ou cinq journaux surveillés, sinon rédigés par la censure consulaire. Aujourd’hui, la communication de toute parole grave est universelle et instantanée. La secrétairerie du Vatican continue à délivrer des bulles sur parchemin, par respect pour les rites des chancelleries ; mais quand le vénérable instrument, muni des sceaux du Pêcheur, arrive au destinataire, il y a beau temps que le télégraphe et la presse en ont fait connaître la teneur au monde entier. Le chef de l’Eglise catholique use familièrement de cette même presse pour répandre sa pensée intime ; elle pénètre aussitôt jusque dans le plus petit hameau. Voudrait-on qu’il fût le seul bâillonné, dans un monde et dans un temps où chacun a la facilité de tout dire, de tout écrire ? Napoléon lui-même, s’il revenait, serait impuissant à rétablir le règne du silence. — Et l’appel comme d’abus ! Si la comparaison ne comportait pas quelque irrévérence, on serait tenté d’assimiler cette pénalité aux condamnations bénignes qui constituent pour un journal la plus enviable des réclames, puisqu’elles lui procurent notoriété, profit, diffusion de son opinion.

Il n’est plus possible de tenir la gageure des articles organiques contre le bon sens public et la gaieté française. On ne les conçoit désormais qu’illustrés par M. Forain. La refonte de cette législation surannée est urgente, si nous voulons nous maintenir