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haute garantie, le texte d’un billet confidentiel adressé par le nonce du pape aux évêques de France. Abus, violation des articles organiques, le crime était patent. Il fut aussitôt dénoncé à la tribune par quelques députés, gardiens vigilans des franchises de l’Eglise gallicane. M. le président du Conseil leur montra que sa propre vigilance avait devancé la leur ; il donna lecture d’une dépêche sévère, identique pour le fond aux dépêches de M. de Chateaubriand, de M. de Rayneval ; bref, la note classique passée depuis le Concordat par tous nos ministres des Affaires étrangères, à chaque tentative d’immixtion dans notre administration intérieure de « l’individu se disant nonce ou légat », comme s’expriment les articles organiques. Cette lecture fut accueillie par des applaudissemens presque unanimes, car ils partaient du fond de la vieille France, antérieur à nos divisions récentes ; et parmi ceux qui apportèrent leur vote de confiance au cabinet, on vit figurer quelques-uns des hommes qui professent le plus hautement leur vénération pour le pape Léon XIII, qui sollicitent le plus volontiers les lumières de sa grande autorité.

Cette contradiction apparente ne peut étonner que des esprits étrangers à toute notre histoire. Tel d’entre nous écoute avec déférence les conseils généraux donnés par le Souverain Pontife, parlant à Rome, dans la liberté et la lucidité de son appréciation sur les affaires humaines. Qu’un envoyé diplomatique de ce même Pontife apporte à Paris ces mêmes paroles, qu’il les applique à un cas particulier et les répande par des voies que notre législation interdit, la tradition nationale s’insurge aussitôt en nous, nos oreilles se ferment. Cela, c’est le sentiment historique de notre indépendance, toujours si chatouilleux. La passion et la mauvaise foi n’ont pas voulu comprendre cet autre sentiment très naturel, essentiellement moderne : des Français se sont fait une conception politique ; ils ont la bonne fortune de rencontrer l’approbation d’une intelligence supérieure, devant laquelle toute l’Europe s’incline ; ils tirent argument de cette heureuse rencontre en faveur de leurs idées. Dans ce sens, il m’est arrivé d’écrire une phrase qui a soulevé des récriminations indignées ; la politique de conciliation, disais-je, s’appelle aujourd’hui la politique de Léon XIII. Et comment la nommer, je vous prie, si ce n’est pas du nom de son plus illustre commentateur ? Un général français hésitera-t-il à dire qu’il suit la tactique du Suisse Jomini ? Un sociologue, qu’il applique chez nous les doctrines de l’Anglais Herbert Spencer ?

Certaines gens déraisonnent d’épouvante réelle ou feinte, dès que l’ombre du pape surgit devant eux : une comparaison leur