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en valeur les seuls personnages intéressans, les étouffe, au contraire, et les amoindrit. N’était-ce pas le cas, ou jamais, de sacrifier l’entourage aux figures ?

L’antiquité classique n’a point inspiré non plus d’œuvres capitales. La Mort d’Orphée, de M. Lauth, dans un vaste paysage, est une délicate étude de nu, mais le sujet s’y exprime peu. Dans le Rêve d’Orphée, embrassant la Muse qui descend du ciel, il y a du charme dans l’arrangement des figures, telles que les a présentées, avec grâce et souplesse, M. William Dodge. M. Paul Leroy a revu Pénélope au milieu de ses femmes, avec ses souvenirs d’Orient. M. Paul Leroy a des tendresses de coloris, d’une finesse lumineuse, qui lui sont assez particulières ; il possède aussi un sentiment assez personnel de la grâce féminine. Ce qui lui manque encore pour faire valoir sa délicatesse et sa distinction, c’est de savoir coordonner ses figures dans la toile, d’en sacrifier au besoin quelqu’une, tout ou partie, en vue de l’effet général. Il reste, dans sa façon de poser les choses et d’exécuter le morceau, quelque chose d’incertain et de flottant qui, pour la masse du public, gâte ses rares qualités. La Pénélope est cependant une œuvre de vrai peintre. Dans les petites esquisses de M. H. Lévy, Œdipe vainqueur du Sphinx et Deucalion et Pyrrha, on trouve toujours, au contraire, cette science de la mise en scène colorée qu’il tient de son admiration réfléchie pour Delacroix. Cela est plus facile, il est vrai, dans un petit cadre que dans une grande toile, dans une enveloppe champêtre que dans un cadre architectural, et c’est pourquoi tant d’autres, sans doute, se contentent de semer des figurines dans de grands paysages. Parmi ces toiles mixtes, qui tiennent du paysage autant que de l’histoire, on a remarqué avec justice, dès le premier jour, le Défilé de la Hache, par M. Buffet. Nous avions déjà signalé, l’an dernier, chez ce jeune artiste, à propos de sa Tentation du Christ, un sentiment décidé de la composition dramatique et celui de la concordance expressive des figures avec la nature environnante, qui nous faisaient bien augurer de son avenir. Son tableau de cette année confirme cette bonne opinion.


GEORGES LAFENESTRE.