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et l’Autriche sont unies d’alliance. Tout ce qu’il y a, en Italie où ils abondent, d’esprits ingénieux s’occupent à démontrer ce théorème politique, d’une vérité relative, que deux puissances alliées à une troisième sont alliées entre elles. En bonne mathématique politique, une fois à Vienne, on serait à Berlin : le tout était d’aller à Vienne, d’y faire aller Mancini, Depretis, une troisième personne surtout, qui, seule, avait pleinement qualité pour parler au nom de l’Italie. Cette troisième personne restait muette, ou ses confidences étaient pieusement gardées. M. Depretis saluait à droite et à gauche, à l’orient et à l’occident : « Messieurs, amis de tout le monde ! » M. Mancini, orateur, fin lettré et jurisconsulte, enfermait en de savantes périodes des nuances délicates : « Amicus Plato, sed magis amica veritas. Amis de tout le monde, plus amis de plusieurs, et plus amis encore de quelques-uns. » Des subtilités, mais le temps passe ; la presse cric et le public s’impatiente.

Tout à coup un bruit se répand : le roi Humbert va à Vienne. D’où vient ce bruit ? D’un journal, la Politik, de Prague. La Neue Freie Presse reproduit la nouvelle. Sans perdre une minute, le comte de Robilant, ambassadeur d’Italie en Autriche, met en garde son gouvernement : ce ne sont pas des organes officieux ; ce n’est pas d’eux que se serviraient soit l’empereur, soit ses ministres, s’ils voulaient à mots couverts lancer une invitation. M. de Robilant ne s’en cache pas : il n’est pas partisan d’un voyage du roi à Vienne, en ce moment. Il estime que c’est trop tôt. Mais le Diritto, à son tour, a reproduit l’information de la Politik. L’idée chemine, portée par le torrent qui entraîne l’Italie vers l’Autriche et l’Allemagne. La voilà, l’occasion cherchée : que le roi Humbert ville à Vienne ! M. Depretis résiste de son mieux. Il fait démentir par le Popolo Romano. Mais le journal de la droite, l’Opinione, riposte vertement à ce démenti : « Comment ! il n’est pas exact que le roi doive faire un voyage à Vienne ! Tant pis ! c’est que le cabinet ne comprend ni son devoir ni l’intérêt national. »

M. de Robilant voit de loin que le flot monte : il tente de s’y opposer. Pour un diplomate, il se fâche presque : Il est clair, écrit-il, que l’Autriche désire notre alliance ; mais pas de précipitation ! ce n’est pas l’heure : mieux vaut laisser tomber ce bruit, et non seulement ce bruit, mais l’affaire elle-même. « Sono quindi di assoluto parere si deva lasciar cadere la cosa. » L’alliance italienne est sûrement le" vœu secret de l’Autriche, comme l’alliance avec l’Autriche est le vœu public de l’Italie, mais, cette union honorable, il ne faut pas la mendier, ’ — c’est M. de Robilant qui parle, — elemosinarlo[1]. Le baron llaymerlé, lui aussi, est ou dit

  1. Chiala, p. 89.