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le centre, la droite, la gauche, usant tantôt de l’infanterie, tantôt de la cavaleric.il rencontra des adversaires dignes de lui, des troupes aussi vaillantes, aussi bien menées que les siennes, quoique dans un ordre moins flexible. Les accidens de terrain, les obstacles de tout genre furent disputés, enlevés, repris.

Un moment, Condé put croire à un suprême et complet triomphe : cette espérance lui échappa. De là, un certain ressentiment contre ceux auxquels il attribuait sa déconvenue, et le jugement, sévère dans sa forme sobre et concise, qu’il prononce sur nos plus anciens frères d’armes : « Tout le monde a bien fait, hors les Suisses. » Il était indisposé contre eux, ayant eu souvent maille à partir avec leurs chefs sur le terrain des capitulations[1]. Quand il vit le régiment des Gardes suisses arrêté devant la ravine de Rœulx par un feu terrible et par la difficulté des lieux, il ne tint pas compte de l’obstacle; il se souvint de ses vieux griefs. A notre avis, il fut injuste, comme il l’avait été pour Fourilles. L’histoire a le droit de redresser ces jugemens passionnés. A Seneffe comme ailleurs, nous estimons que les Suisses ont fait tout ce qu’on peut demander à des soldats ; mais il y a eu peu de chefs aussi exigeans que Condé, et cette exigence lui avait souvent réussi.

La nuit trouve les deux armées en contact, se partageant la position. Au jour, toutes deux avaient quitté le champ de bataille. Les alliés avaient-ils le droit de célébrer leur victoire par des salves, d’emboucher la trompette et de remplir l’Europe de leurs chants de triomphe? Deux ou trois étendards furent envoyés à Vienne; — Notre-Dame fut tapissée de drapeaux. — Les villes de France regorgeaient de prisonniers envoyés de Flandre ; — les alliés ne purent jamais trouver les élémens d’un cartel d’échange.

Il est certain que M. le Prince n’a pas pu emporter la position de Fayt. Il n’est pas moins certain que par une retraite prématurée il aurait donné la victoire à un ennemi battu, tandis que par son acharnement il a frappé l’ennemi d’impuissance. On ne trouvera ici ni réfutations, ni apologies; nous nous bornons à résumer les faits, à exposer une situation qui ne saurait être contestée et qui se passe de commentaires. A côté de ce tableau, que pèsent les assertions, les démonstrations, les libelles?

Les alliés tirent des renforts de toutes parts ; leurs rangs grossissent à vue d’œil ; ils font grand fracas de leurs projets ; mais ils ne peuvent dépasser Mons, ni faire pénétrer un partisan en France. M. le Prince a reposé, remanié ses troupes, placé des

  1. Jadis (1644) pour le passage de la Meuse; récemment (1672) pour le passage du Rhin. Les Suisses soutenaient que les capitulations ne permettaient pas de les conduire au-delà de la Sarre. Il avait fallu les contraindre par les menaces.