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s’est tout de suite engagée sur ces limites du droit de suffrage, que les uns voulaient restreindre beaucoup plus que le ministère, et que les autres voulaient étendre à la presque universalité des régnicoles. L’extrême gauche repoussait tout ce qui ressemblait à un cens quelconque ; la gauche modérée demandait comme base un chiffre de loyer annuel de 130 francs ; une autre fraction des libéraux proposait le paiement d’une contribution directe minime, ne fût-ce que deux francs.

Il y avait, on le voit, dans les esprits une grande division. Pourtant, bien que la droite reprochât à M. Tak de pousser le prolétariat aux urnes contre l’esprit de l’article 80 de la constitution, une majorité semblait se dessiner en faveur du nouveau projet. Comme il arrive toujours en pareil cas, un député bien intentionné, M. Meyier, a proposé un amendement transactionnel, qui se rapprochait beaucoup du texte ministériel et qui semblait de nature à y rallier un grand nombre d’hésitans. On a cru généralement que M. Meyier était d’accord avec le gouvernement, lequel l’a longtemps laissé croire. Aussi y a-t-il eu beaucoup de surprise et même un sentiment plus vif lorsque, l’amendement une fois voté, M. Tak a déclaré qu’il ne l’acceptait pas et qu’il retirait tout son projet. Que M. Tak, ce jour-là, ait commis une faute, la suite l’a bien prouvé. La colère contre lui a été violente, même parmi ses amis. Son ministère a été ébranlé. Des divisions se sont produites avec un certain éclat entre ses collègues et lui, et M. Van Tienhoven, ministre des Affaires étrangères, homme considérable, qui avait été chargé à l’origine de former le cabinet, a accusé son dissentiment avec M. Tak en offrant sa démission. M. Tak avait son parti pris de tout : il voulait des élections nouvelles, dans l’espoir qu’elles lui donneraient une majorité à laquelle il ferait voter le projet de loi qu’il voudrait. Des élections générales étaient devenues, en effet, le seul moyen de se tirer d’affaire, et la Reine régente a consenti à signer le décret de dissolution que lui présentait M. Tak.

Celui-ci s’était mis en avant avec une telle ardeur que, soutenu par les uns, attaqué par les autres, on n’avait bientôt vu que lui dans la lutte électorale. C’était « pour ou contre Tak » qu’on votait : le mot d’ordre était donné dans ces termes par les divers partis, et M. Tak n’a rien fait pour éviter cet inconvénient. Il n’a adressé aucun manifeste aux électeurs, ne leur a donné aucune explication, et a paru accepter que la question de personne fût substituée à la question de principe. Mal lui en a pris, car la réponse des électeurs a été pour lui une défaite complète : 57 opposans ont été élus contre 43 ministériels. Dans l’opposition se trouvent 28 libéraux, ce qui prouve à quel point est disloqué le parti même sur lequel M. Tak croyait pouvoir s’appuyer. Ses alliés d’autrefois, les anti-révolutionnaires, sous la conduite de M. Kuyper, l’ancien pasteur, sont sortis également très amoindris de