Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/485

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Depuis la rentrée du Parlement italien, M. Crispi, dont on présentait la situation comme sourdement minée et ébranlée, a marché de succès en succès. Ces succès sont-ils plus apparens que réels ? Sont-ils de substance longtemps renouvelable et durable ? Nous ne nous chargerions pas de le garantir ; mais les débuts du ministère ont été brillans et les coalitions annoncées entre la droite et la gauche n’ont pas fait bonne figure au grand jour de Montecitorio. La droite, dès les premières escarmouches, s’est séparée de la gauche, et M. Cavallotti, suivi de quelques fidèles, a formé avec eux une minorité qui n’a guère dépassé une cinquantaine de voix. Le premier choc s’est produit au sujet du ministère de la marine ; le second, sur la question de savoir si on discuterait d’abord les projets financiers de M. Sonnino, c’est-à-dire les recettes, ou bien les budgets des divers ministères, c’est-à-dire les dépenses. Comme les recettes se composent en partie d’impôts nouveaux, on comprend l’intérêt que l’opposition avait à commencer par là. M. Crispi a eu l’habileté, en demandant la priorité pour les budgets ministériels, de mettre d’abord en avant ceux de la marine et de la guerre, et il a pu dès lors invoquer des argumens qui ont causé une vive impression. La corde patriotique vibre toujours dans les assemblées. De plus, l’opposition de droite dirigée par le marquis de Rudini, et le groupe piémontais dirigé par M. Giolitti, groupes volontiers gouvernementaux, ayant à leur tête d’anciens ministres qui aspirent à le redevenir, se sont arrêtés à la pensée de heurter le roi dans une de ses idées fixes, à savoir l’impossibilité de diminuer les dépenses militaires. Avant tout, il faut voter ces dépenses : on cherchera ensuite les moyens d’y faire face, et on pourra, avec un moindre danger, se disputer et se diviser sur le choix de ces moyens. M. Crispi qui, au début de la session, s’était laissé entraîner à prononcer des paroles imprudentes et presque provocantes, a montré tout d’un coup une douceur courtoise et alléchante. Il a dit bien haut qu’on pourrait faire des économies sur la marine… l’année prochaine, mais que, pour le moment, il n’y fallait pas songer. En l’absence d’études préalables, on risquerait de commettre les plus graves erreurs. Bref, par un heureux mélange de fermeté et d’adresse, il a eu gain de cause et a doublé le premier cap où ses adversaires l’attendaient, prêts ou se croyant prêts à soulever des tempêtes et à provoquer des naufrages.

En passant d’un budget ministériel à un autre, on est arrivé à celui des affaires étrangères, qui a donné heu à une discussion pleine d’intérêt et aussi d’imprévu. M. le baron Blanc, ministre des affaires étrangères, et M. Crispi lui-même ont pris successivement la parole et prononcé des discours d’un ton élevé, d’une forme irréprochable, mais dont le véritable caractère n’en reste pas moins assez difficile à déterminer. Une fois de plus le gouvernement a déclare qu’il ne changerait rien à sa politique extérieure. Pourquoi la modifierait-il ? La Triple