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LES REVUES ETRANGÈRES

REVUES RUSSES


UNE CORRESPONDANCE DE TOURGUENEF. — TOURGUENEF ET TOLSTOÏ A L’UNIVERSITÉ. — UN ARTICLE DE TOLSTOÏ SUR AMIEL. — LES IDÉES DE POUCHKINE SUR L’ÉDUCATION. — LA VIE ET LES OUVRAGES DU COMPOSITEUR MOUSORGSKY.


«L’âme d’autrui, disait Tourguenef, est une forêt profonde. » L’âme de Tourguenef était, elle aussi, une forêt profonde ; mais, par un étrange phénomène psychologique, personne ne semble s’en être avisé avant la mort de ce grand écrivain. Les plus intimes amis de Tourguenef, aussi longtemps qu’il a vécu, n’ont rien vu en lui qu’une faconde bon géant, très intelligent, très instruit, d’une obligeance infatigable, et joignant à la faculté de savoir parler la faculté plus rare de savoir écouter. Son âme leur serait apparue plutôt comme un grand jardin où chacun pouvait entrer et se promener à son aise. Mais à peine était-il mort que derrière le clair jardin on a vu la forêt, une de ces noires et mystérieuses forêts des pays du Nord, où c’est peine perdue de vouloir pénétrer. On s’est aperçu que cet homme si simple était infiniment compliqué, que ce que l’on prenait chez lui pour de la confiance n’était que pure politesse, et que, tout en se livrant à ses amis, il n’arrêtait pas de les mépriser.

Telle est du moins l’opinion que paraissent se faire aujourd’hui, sur Ivan Tourguenef, ceux qui l’ont connu à Paris ; et vous les entendrez s’indigner, à cette occasion, de l’hypocrisie, de la duplicité slaves ; tout cela, simplement, parce qu’il a plu à je ne sais quel reporter de publier,